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La transparence des pierres de Frédérique Kerbellec

Le livre est composé de six « icônes », six ensembles, six heures aux bruits et aux lumières différentes. « Mystérieuses et frêles à la fois charnelles et presque enfantines... », comme l'écrit Jean Mambrino dans son amicale préface, ces icônes faites de main d'homme hantent et enchantent un entre sol et ciel, entre ciel et pierre, partout où l'homme cherche à vivre, parmi « les cris, (les) appels, (les) gémissements dans la nuit ».

Rien ne sort
rien n'agite
les grelots bleus du ciel
 

Rien ne perce
rien ne vide
les abcès les douleurs
 

Le corps opaque affirme
sa glorieuse cécité

Frédérique Kerbellec te dit que le monde est fini : La seule vie est en soi hélas. Un salut par l'écriture ? Suprême poncif :

Écrire ne pas écrire
le corps écrasé par cette boue (…)
Ô la parlure les fioritures
lumière violée
par les hommes en pâture

Net, sans détour ; ouvre les yeux : Les colibris sont morts ce soir / Les traces de nos orgies / ont descellé les routes. Si je lis trop vite, ça paraît simple... un bon gros désespoir, expéditif et même jouissif : la vilénie des hommes et, souviens-toi, les crimes de la Ligue, le Manteau impérial que les abeilles fuient. Bénéfice de la plainte, cathartique regard appuyé sur notre misère, notre splendide misère. Mais Frédérique Kerbellec attaque autrement. Et nous trouble par l'absence d'effet, de fioritures, justement :

Les affligés
nagent dans le jour
La vague
flagelle
leurs peurs

Et cependant lyrique. Lyrique et vrai (Gustave Roud parlait de « profonde vérité lyrique »). En un retour très concret dans la langue, Frédérique Kerbellec reconsidère le mot, et le prend, ce mot, comme une chose, une proposition, une proposition ou une offrande que l'on tourne, retourne dans ses mains. Elle réveille des motifs que d'anciens clichés avaient affadis comme cette marguerite (qui) effeuille / la pierre. Contre les cultes satisfaits et les marchands de providence, elle brandit l'ininterrompu et dolent charnier de toute l'histoire humaine, tout en disant que l'esprit (avec minuscule !) se lève / sur les nations / en flammes. Construisant un sens moins paradoxal que holiste : À cœur ouvert / À chair coupée.

En cela cette poésie est une retrouvaille avec la réalité, toute la réalité : le vers, tectonique, chante et grince à la fois.

Icône heureuse
(…)
Et les rires enchantés
et les chants
et les pleurs
roulant doucement l'amour
sous les éclats fourbus
 

Souffle baisant
les mains gelées

 

S'il t'arrive de te demander ce que l'esprit retiendra de nos pas sur la terre, dans un moment de récollection, dans un éclair de lucidité, arrêté net dans la rue, où dans ce tunnel coloré et terrible qu'on dit précéder l'ultime souffle de la vie, et quel trésor nos sens, après beaucoup d'années, célèbreront encore, ce livre est un des rares qui en donnent l'idée. Ou mieux, car il s'agit moins des motifs en soi que la façon dont l'écriture les conduit à notre sens, il apprend à ouvrir grand l'attention et faire, comme l'écrivait Jean Grosjean dans Fils de l'homme, « de ma négation même un autre azur ».

Pluie de bonheur
Pluie de glaçons
Le vide s'accomplit et pénètre
(…)
Pluie de plaisir
Sexes chandelles
Pénétrations fleuries
enlacées sur les monts
 

Soleils dans les nuits claires
volant avec les anges
avec les prés
Et laissant place
à l'ordre tranquille
des après-midi
blancs et purs