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La vie bon train d’Etienne Faure

Depuis une vingtaine d'années les amoureux de poésie suivent, au fil des revues puis des livres, une voix insistante et singulière. Vagabonde précise, elle nous emmène vers des paysages d'où l'extraordinaire et le sublime sont absents ; chantant, elle les recompose avec une simplicité savante grâce à quoi l'oeil effleure une diversité d'objets — talus d'herbe, outils désuets, fenêtres, planches de théâtre... —  qui tous nous guident vers de vies humaines, présentes ou abolies, pour nous patiemment réinventées. Aujourd'hui, Etienne Faure publie un quatrième livre ; des proses. Sur un thème d'allure universelle (qui ne prend ou n'a pris le train?) et qui se prêterait aux symbolismes faciles, il répartit son matériau en quatre blocs nommés par les saisons, les ponctuant à chaque fois d'un poème.

Aux grands aînés qui prirent le train en poésie française il y a cent ans, l'auteur n'oppose aucune réfutation ; il se situe ailleurs, dans un lyrisme sobre, conquis sur une observation minutieuse du proche et du quotidien. Juste un coup de chapeau joueur dans le sous-titre, évoquant à la fois la Prose du Transsibérien et la littérature dite de gare. L'écriture s'attache au fragment, au détail (mains, bagages, mots d'adieu...). Il sera question du voyage, mais plutôt moins que de ce qui l'entoure, zones du départ (retardé parfois pour cause de grève) et de l'arrivée. Le propos ne se limite pas à l'humain : il est question de végétal, d'oiseaux (moineaux, pigeons), de météorologie (« Solstice d'hiver, solstice d'été »). Autant qu'aux voyageurs, on s'intéresse à ceux qui ne partent pas : les familles, ami(e)s, amant(e)s, les serveurs de bar, les mendiants, « ces ramasseurs d'écailles » (p. 56) ; une des plus belles pages, dans sa sympathie libre de toute mièvrerie, parle de ceux qui vivent et couchent dans les gares (« Une fois replié, leur domicile peu fixe en effet peut se déplacer de plusieurs mètres (...) »).

La prose ici invente sa propre construction. Souvent des phrases courtes s'enchaînent, le texte peut s'ouvrir sur une question, jouer de l'accumulation pour décrire ; un mot seul, « repos », « silence », « oubli », « cymbales »... se fera phrase, vers le milieu d'un texte qu'il aide à rebondir ou, plus rarement, à la fin, accélération ramassant la mise : « mouvement » ; « santé ». L'allure rappelle parfois les poèmes : prédominance de l'impair, moins nette ici mais soutenue ; textes s'ouvrant sur une circonstance pour mener au cœur du propos (« Du fin fond de la nuit, fin décembre » ; « Et puis le train n'arrivant pas ») ou s'achevant comme en mineur, en un léger gauchissement du propos, refusant le coup de trompette conclusif. Parfois gare ou voyage deviennent image d'autre chose. C'est rare, discret, jamais attendu. L'image familière du faisceau des rails est ainsi vue comme un « arbre généalogique » (p. 82) ; plus loin, à la toute fin du recueil, c'est une « étoile » qui peut être « mauvaise » (p. 116) : nous sommes là dans un texte très dense, multiplement allusif, qui nous fait éprouver brusquement tout le poids de l'histoire récente (les gares, atroce entonnoir) tout en s'interrogeant sur l'usage des métaphores. Le poème final, « Voici l'hiver », reprend l'image généalogique, mais cette fois du point de vue de l'individu ; et l'on referme le recueil sur la vision du corps comme un

  wagon sans attache
  sans descendance, ni hoirs, ni rien d'approchant.

Mesdames et messieurs les lecteurs, en voiture !

Autres ouvrages d'Etienne Faure aux éditions Champ Vallon :

 

Légèrement frôlée, poèmes, 2007

Vues prenables, poèmes, 2009

Horizon du sol, poèmes, 2011.

 

On pourra lire aussi l'entretien très éclairant et très complet de l'auteur avec Tristan Hordé sur le site de poezibao :

http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/11/un-entretien-avec-etienne-faure-par-tristan-hordé.html

Ce texte a paru, sous une forme légèrement plus courte, dans le n° 24 (juin 2013) de la revue N4728