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La vie lointaine de Jean Maison

Peu à peu, la voix de Jean Maison s’impose dans le paysage poétique actuel, et surtout au cœur de la poésie contemporaine. De celui qui fut ami proche de René Char ont paru il y a peu deux recueils, Le Boulier cosmique (Ad Solem, 2013) et La vie lointaine (Rougerie, 2014), dernier ensemble qui nous intéresse ici. Dans son récent « regard critique sur la poésie française contemporaine » (Au tournant du siècle, Seghers, 2014), Jean-Luc Maxence écrit que Maison est de ces poètes qui ont aujourd’hui « la nostalgie du sens ». Cela est indéniable. Il y a cependant diverses sortes de nostalgie. Des nostalgies qui sont regard sur le passé, « réactionnaires » à ce que l’on dit parfois, souvent ancrées dans des dogmes, parfois religieux. Maison n’est pas fait de cette herbe médicinale là. Le poète n’a pas été proche de Char pour rien, cela marque une existence et un parcours. Jean Maison, poète nostalgique du sens, oui, mais poète qui regarde en direction de « la vie lointaine ». Qu’est-ce à dire ? Que le regard porté en apparence vers le passé est en réalité action sensée en direction de ce qui vient. Qui ne saisit pas cela ne peut comprendre combien la position et la poésie de nombre de poètes profonds du temps présent sont essentiellement révolutionnaires. C’est de situations dont nous parlons. Et comme il est d’usage en cette époque un tantinet sombre, on donne des noms d’oiseau à ce que l’on ne comprend pas. On pense que ce que l’on ne comprend ou ne connait pas n’a pas de réalité, summum de la prétention égotique. C’est pourquoi il arrive à des lecteurs pressés d’écrire, dans La Croix par exemple, dont le supplément livres semble atteindre un abîme de médiocrité, que Jean Maison serait un « poète chrétien ». Cela n’a évidemment aucun sens et il y a fort à parier que le poète ne se reconnaisse aucunement dans une telle « appellation ». Notre époque binaire a des difficultés à appréhender ce qui écrit, vit, agit en dehors ou au-delà du peu qu’elle perçoit de la richesse de la manifestation. Alors, Jean Maison, poète nostalgique du sens ? Oui, bien sûr. Si l’on en croit tant et tant de philosophes, de poètes, de mystiques, de penseurs divers, d’Ellul à Maritain, en passant par Jonas, Heidegger, Char, Plotin, Debord, Hannah Arendt, Breton, Castoriadis, Artaud, Daumal ou Guénon, sans oublier ce Christ que certains voudraient accaparer (car le Christ est philosophe contemporain), cette quête du sens « d’hier » est appel lancé à la renaissance de la vie de demain.

Renaître dans le Poème.
Tel est le « projet ».
Et cela est politique.

Il n’est donc guère étonnant que Jean Maison soit poète marchant dans la nature et qu’il consacre sa vie au lien entre nos âmes et le végétal. C’est ici que se tient la vie lointaine du poète, au centre de la croix, comme une rose, mais au centre d’une croix qui paradoxalement n’est pas perceptible comme exclusivement chrétienne. Ce serait limiter un tel symbole, trahir tant et tant de recherches minutieuses, ainsi celles de Charbonneau-Lassay, que de vouloir circonscrire le symbole dans une tradition donnée. Non, Maison est de l’eau de ces poètes qui inscrivent leur encre dans la Tradition. Il y a de la vie là-dedans, et c’est cela qui choque (qui « file un choc ») à trop de commentateurs pressés du Littéraire. Il faudra tout de même que l’on en revienne à un minimum de culture dans le monde de la Culture, si l’on a la prétention de parler de poésie. Et ce n’est pas un hasard si le premier texte de ce beau livre s’intitule « Ce qui adviendra », ni si ce même volume se termine par un ensemble titré « Vivre dans le langage ». Car c’est précisément ici que, pour le poète Jean Maison, se joue ce qui se produit en notre époque chutée.

 

Il n’y a de mots
Qui ne puissent nous atteindre
 

La parole s’érige
A la mesure du pardon

 

Le poète ne craint pas les majuscules, faisant fi des petites triturations formelles aussi vite affirmées qu’oubliées. Le formalisme quand il se présente en tant que lettre avance souvent sous le visage d’un adversaire de l’esprit.

C’est la pratique naturelle de l’anti poésie.
 

Le temps vient cependant où :

 

L’essence du verbe versé
Comme un nard
Cède la place de l’âge au poème
 

Un temps, comme ceci :

 

Notre langue
Notre résistance
Filles du temps

 

L’époque n’est pas soft, contrairement aux apparences et aux illusions. Elle est d’une violence inouïe, violence vécue dans le cœur même de ce qui fait l’homme, la langue.

La Parole.

Tout se joue maintenant dans le Poème.
Bienvenue, et merci Jean Maison.
Car

 

Il demeure des mots
Pris au désœuvrement
Par des pas immobiles

 

La poésie de Jean Maison est nostalgique de ce sens, l’ouverture vers l’espérance :

 

Ce que j’ai vu dans ce refuge
S’illustrera demain dans la patience

 

  Lire Jean Maison dans Recours au Poème