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Nohad Salameh, La voyageuse de minuit

 

Celle venue d’Orient
escortée de ses phénicies
ses alphabets
et ses dieux d’outre-ciel
arbore la fracture de la terre
et la déchirure de vos regards.

Celle surgie des vergers d’Ève
avec ses oracles
ses nostalgies douloureuses
et la fureur des songes
progresse d’un pas de désert
vers le Centre
où se concentrent
l’exil et la mémoire de la rose.

La voyageuse de minuit
qui pose ses ailes sur vos aubes
toute entière tannée par les couchants
incante en vos sommeils
un chant d’espace
par excès d’errances
et appel d’air.
 

∗∗∗

 

D’un vol preste de cigogne
je reviens tenir compagnie
à ceux qui dorment, les mains nouées
sous les jardins de l’épouvante.

De transparence en transparence
je patine vers mon halo premier.
Sans fracas
ni brisure
je chute dans la durée paresseuse du sable.

Je m’endors sous la trame des bouvreuils
- tout mon souffle pour lisser la pierre
et je m’écris au hasard sur les lentes parois
d’où se penche le temps.

Revenante
de mer en mer
d’absence en absence
les chevilles ravivées de soleil et d’encens.
J’enjambe pêle-mêle des fortifications
d’absinthe et de ronces
afin de devenir l’épiphanie du retour.

∗∗∗

 

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

 

Ne t’attarde pas davantage :
viens avant l’aube - Pâque précoce
allonge-toi contre mes paupières
aux lisières de l’infini.

Mes mains se font plus denses
confondues à tes doigts.
Nous pénétrons nos propres limites
avec un toucher d’immortels.

Repose-toi
sans laisser de blessure
dans le lit du miroir
qui s’échappe d’un bond
au premier reflet.

Surtout
garde-toi de prendre la mesure de la mort
tant que vacille en nous
le feu grégeois du désir.

∗∗∗

 

La douleur : notre fruit
plus écarlate que le sel.
Nous aimions comme on pleure en rêve
absents
et le cœur posé à côté de nous
sur la margelle.

Nous fûmes chute inopinée
peur merveilleuse
avec les pieds par-dessus tête :
flamme florale
saisie dans toute sa ferveur.

D’autres annonciations viendront
quand se rétrécira le monde
et que retentira l’ordre
de s’effacer ensemble
sans masques ni parures
échappant à nos chairs
tel un feu à l’envers.