Le Chiffre est blanc
La terre buvait lentement Ce que le ciel charrie
Le chiffre est blanc
Ici est là-bas : dans le miroir ton bouclier te parle si bas, il te prédit
Ce grand trou : la grande route
Et l’éternel ressac retour
La nuit au seuil de grottes lointaines Rythme encore ta respiration
Prépare-toi à sentir l’espace se multiplier L’ongle te touche avec sa pierre
Entre les astres : ta course silencieuse
Les flèches sont nombreuses
Au large des sillages qui déchirent
L’espace révèle d’impatientes ressources de présence
Et tant de rides en ton passage inscrivent la démesure
L’intimité était l’abri
d’hier
Pulpe du vivant
Sur sa lèvre encore ma main se tend
Et ce miracle d’être deux
Respire la longue nuit
Les souvenirs Livrés à eux-mêmes Apparaissent
Dans un vide
Situés d’éclairs colorés
Le bruit de l’amour dès l’aurore
Oh, Notre nudité au même instant
Ton ventre où je me disais et je me taisais
Je saigne aux noms que tu m’as donnés
Sous le front… coule
Cette quête du nom perdu
De l’œil perdu
Je me souviens de m’être souvenue Dans cette paume trop vaste
Tu étais par-dessus mon visage
Les larges appels du vent, ventre frémissant, au milieu des courants
Des lignes sauvages, presque folles, dansent
Ce qui se répète Ce qui ne se répète pas
Enregistré à ton insu Et redonné
L’émotion : toujours prolonge ton corps
Où le temps se défait :
le souvenir de l’ombre se fait
Ce soleil si intime
Ce que je connus remplit tout mon œil
et déborde :
Me troue au petit point où la mesure reprend
Petit matin plein
Dès les premiers regards
Je dormais dans tes yeux
Ce reflux : ouvre mon oreille et j’écoute
à la pointe sèche des souvenirs tardifs :
L’épée que je ne construis pas : Tue
Ma main recueille le plus précieux
Plus profond que le souvenir : ton œil
Plus large que tes fourrures : ta voix
Nous ne sommes pas sortis de cette lignée de meurtriers
Cet inhumain est mon plus intime :
Qui fut ce que j’ai vécus En mon nid
le plus intérieur
Depuis la première goutte de sang : Je sais
Notre corps est la porte
Lentes volutes insaisissables Mes mains déplient Tant de sensations
Éclate L’animal épuisé
Ces bêtes pourpres dans ta main
C’est de jaillir qu’il s’agit dans la haute nuit
Précipitée au plus profond de ce qui brûle
Tes traces vont par sauts, cette instabilité
Des clapets étroits s’ouvrent se referment
et ta tête obscure Remonte au jour
Les ongles inutiles
Oreille Goût Toucher et Vue
Enregistrent En leurs rigueurs obtuses
non les choses, mais leurs connexions Viens à genoux
Rompre les cercles
Je vais dire
Je vais te dire
enfin
L’œil du vol encore neuf plus avant
sur le matin
Dans ma nudité verte et rapide
Tous mes sens
M’éveillent à l’Autre Versant
Ce saut m’épouvante
Je ne peux le nommer
Quelle est la vitesse de l’obscurité ?
Qui taille cette statue dans la nuit ?
Les peaux luisent et vibrent
Tous ces endroits où tu me touchais
Tes mains arrivaient vers moi
pleines
et l’amour n’était pas le meilleur
Le jour sur l’autre jour trace encore, et
Je suis devant mon couteau
où la pierre saigne sans cesse
Cette faille : entre deux mondes
Ton visage revient et s’émousse
Ces mondes enroulés Blancs imprécis
Coquillages dont le son dentelé parcourt où je me déplace
L’immense passe dans mon corps
Hors de cette attache
la route rompt le pacte de qui joue le saut
D’où tout part, d’où tout arrive
étoiles à voix basse et discrètes
La demeure est toujours nouvelle
Ronds Ronds : feu respiré à pleine bouche
Avant de franchir ton corps
mes peaux anciennes
apprivoisent encore notre crime
T’approcher, c’est ton geste
si près de mes yeux
où tes lèvres naissent sans cesse
J’accuse la lenteur des jours Rives périlleuses et
éloignées
Je cherche les grottes les bois
J’ai l’ombre plein la bouche Tu fus aussi le premier visage de l’amour
Attends je viens…
J’écarte tous tes noms :
En tout le sang
aller au-delà des doigts présents
Ta mémoire est ce qui ment
Habite en tes habits jetés : cours, à nu,
dans l’innombrable instant
Quel peu d’acte :
Fleuves à fleuves, forêts à forêts J’aurai un jour besoin des souvenirs
Tu cries mon cœur entre tes mains
Corne rousse, animée par la trêve
ton odeur me recrée
Monte ta voix désirante Agriffée et remuante
Ta voix Pleine de chausse-trapes
Rien rien et les commencements sans fin
Sur toutes les paupières Je n’ai plus peur
J’ai le vertige
Descends plus lentement
Ta route tourne et tourne encore
À l’heure du rude, pas une fleur : ce combat
Strates vieilles, tout en toi se soulève
À toutes roues Le cri est aux abysses
Vastes bouches où nourrir l’innombrable présent
Tout se précipite
Cette danse où mes jambes vont et viennent
Je suis en ce mouvement
Je me penche en avant en arrière
Tu me fouilles
jusqu’à l’extrême épiderme
Au cru de l’énergie Il n’y a plus de distinction
Dans ce trou sans nom
Chaque cri rôde dans le gouffre
où rôde aussi le souffle
Courbes et nuits incessantes
Là où tu ne vas que par peur
dansant dans la chair pensante
L’absent te rappelle ta présence
En ces trous Bouillonnant
ce n’est pas le même être qui se souvient
Cette étincelle Excède toute mesure
Yeux qui ne regardent plus
Ton oreille aux cent plis m’étire
Autant de forces qui vont Sous nos formes vécues
Ton cœur m’expulse :
Je me rejoins
Cette perte sèche : les ponts sautent
Oubli plus épais que nos chemins
Tout est à recommencer Tout était à recommencer
Au-delà, c’est le grand espace
De grandes courses aériennes
sans cesse renouvelées
Les larges couches sèment du vent
Tu grandis dans ton ombre et l’ombre aussi grandit
Où nulle étoile ne perce
c’est à chaque fois un œil
inaccessible
Où la distance nous tient
la vue se retourne
Ces mouvements d’eaux traversées pour aller jusqu’à toi
Chaque fois
Est-ce ton cri ? encore ?
Plus bas sans appui je vais plus bas
L’espace s’ouvre sur une chute encore
Cet amour ancien comme l’enfance
Où devient visible l’itinéraire de mes ruines
Distances énormes puis fondues à toute vitesse
La semaine dernière ou quarante ans plus tôt
Toutes ces heures révolues Me mènent à l’effacement
Cette voie où passent tous tes périls
qui passe de voix en voix
Au ras du chemin qui inonde
pour recommencer d’aimer
Notre vraie tombe mange le temps
Là où s’interdit la sonde Et nait lentement
Ce qui s’oublie
À la bordure, je plie : Ma peau touche l’air d’une façon inespérée
Chemin sans balise ni parapet Le rythme agit
Entre l’intimité et l’immensité :
Ce que je ne pourrai plus ramener au jour Mon corps l’absorbe en porte
les torches
à voix haute et
hypnotique
Profondément je m’accueille
Là où je ne me retourne plus
Ces surfaces Affinées aux odeurs et aux mains
lorsque se trouve distraite ton attention
Déroulent ta vie vers l’extérieur
Là où ton vol suspend ton nid
cette seconde dit :
Le vide Courbe le nu Au nœud crucial
L’amour mis à nu et menteur De sa flèche la plus matinale
des yeux touche le fleuve sous tes pas
Ton bouclier tombe
Tu retournes la roue loin des grottes anciennes
Et tombe
Dans la pulvérisation du miroir Qui sait de quoi hier
sera fait
Tout brûle :
Je m’étends dans ce que j’ai perdu
Je te quitte vue à vue
notre amour
l’oreiller où nos baisers
J’oublie nos portraits où j’étais l’épreuve, ton cœur, les herbes folles, les enclos
Et je retiens ce qui s’ouvre pour ne pas reprendre la roue
Dans cette expansion
Respire :
Ne sauve rien laisse pourrir, germer
À la bouche des lumières La roue rusée du rire reste sans effets
Au moment où tu t’effondres
nous te rajouterons quelques mains
En devineras-tu l’usage ?
Tout à l’heure, quand je comprendrai
Ce qui est détruit est détruit
Instant de l’instant : Je crie et apprends mon cri
Derrière mes yeux un peu égarés
La roue dentelée immense reprend encore reprend
À quelques secondes de toutes mes coques brisées
Souvenirs, oubli tournent dans l’immobile
En ma gorge soudain profonde une sorte de langage vient
Je suis la foule Vibrant du poids de tous ses bonds
À l’abri de son opacité
Les failles se rassemblent pour abattre le mur
Je me penche Givre à givre
Èclate l’amour sans dispersion
Pierres vivantes dans la grande enveloppe courbée
Le cercle s’est ouvert.