Le langage de l’art : entretien avec Karthika Naïr

Karthika Naïr est une artiste, ou plutôt une artiste polyvalente qui excelle dans différents modes d’expression, qu’il s’agisse de poésie, de contes ou encore de livret d’opéra…, comme elle l’explique dans l’entretien qu’elle nous a accordé.

Née dans le Kerala, au sud de l’Inde, elle a grandi dans plusieurs régions de l’Inde et parle quelques-unes des nombreuses langues de son pays. Elle vit en France depuis des années et voyage à travers le monde entre l’Amérique, l’Afrique du Sud, l’Inde et l’Australie autour de son art, ou plutôt ses arts. Son livre Le cantique des lionnes (traduction de l’édition originale anglaise Until the Lions : Echoes of the Mahabharata) est une véritable prouesse, qui ne cesse de susciter l’intérêt, que ce soit par les adaptations et les études dont il est l’objet. L’ouverture et l’attrait de Karthika Naïr pour le multiple sont nourris de la fabuleuse richesse multiculturelle du Sous-Continent Indien. Elle transcende dans son livre les frontières spatiales et temporelles avec virtuosité pour remonter aux sources de notre humanité commune. Mais laissons-lui la parole.

Karthika Naïr, vous êtes poète, dramaturge, auteure de contes, librettiste. Vous avez des talents multiples et vous n’hésitez pas à passer d’une forme d’expression à l’autre. Pouvez-vous nous parler de ces passages ? S’agit-il d’une nécessité intérieure ou d’un fort désir d’explorer les formes d’expression artistiques ?

Karthika Nair, © Koen Broos.

Je crois être, avant tout, une « storyteller », une raconteuse, quelle que soit l’expression : donc la démarche artistique c’est de trouver et ensuite habiter le ou les “langages” ou modes qui se prêtent le mieux au sujet qui me préoccupe. Parfois, il s’agit de contes fantastiques comme avec les albums pour les jeunes, parfois de la photographie d’un instant ou d’une vie dans un poème, et parfois d’une légende asiatique racontée par le mouvement et la musique, le visuel et le verbe. Mais quelle que soit la matière ou le « langage » vecteur (la page, le plateau, l’écran…), la question essentielle pour moi c’est comment façonner l’histoire ou l’expérience de la manière la plus juste. Cela étant, toute expression a ses forces et ses contraintes, et on s’adapte constamment (comme l’avait dit Bruce Lee, « Sois l’eau, mon ami » !), non seulement aux dits langages mais surtout aux nécessités de l’histoire racontée. 
Prenons Le Cantique des lionnes par exemple : sur la page, j’avais une grande liberté, de choisir (ou d’inventer !) la forme poétique qui véhiculerait avec justesse le récit, l’intériorité de tel ou tel personnage du Mahabharata.  Les seules limites étaient techniques : je ne pouvais pas concevoir un poème qui ne tiendrait que sur une page A2, car peu d’éditeurs auraient les moyens de le publier ! 
Pourtant quand Le Cantique des lionnes est adapté, pour la danse, l’opéra ou le théâtre, c’est avant tout une collaboration, donc d’abord il faut être à l’écoute des collaborateurs, de quelle(s) partie(s) ou voix les intéressent — parce qu’après tout, l’important c’est de trouver les éléments communs qui nous passionnent toutes et tous, c’est la seule manière de créer un univers qui appartient à nous tou.te.s. Ensuite il nous faut nous emparer de tous les moyens imaginables – le corps et la musique, et aussi la lumière, la scénographie, les costumes, parfois l’animation – et déterminer dans quel ordre ou avec quel équilibre on pourra créer une œuvre qui saura toucher un public et lui permettre de suivre les aléas du récit complexe et surtout son rythme émotionnel. 
 Pour paraphraser Salman Rushdie (qui l’a dit à propos de la traduction), il y a des choses qui se perdent, mais il y a aussi la richesse des découvertes, comme la force charnelle de la danse, ou la puissance du verbe au théâtre. C’est un frisson de joie indescriptible quand un collaborateur vous révèle des choses souterraines de votre propre ouvrage !
 Je suis toujours très curieuse, et ces passages me permettent de découvrir donc les richesses cachées et des possibilités dont je n’avais pas connaissance avec uniquement la page et la plume (ou le clavier !). Et elles se nourrissent sans cesse, ces rencontres entre différents modes d’expression : ma poésie est fort influencée par le travail de la danse, et mes livrets ou scénarios de danse puisent beaucoup dans la rigueur et l’économie de la poésie. Et les albums jeunesse sont bien souvent conçus comme des dialogues sur un plateau de théâtre…
Vous avez grandi en Inde et vécu dans plusieurs régions de l’Inde. Vous parlez aussi plusieurs langues indiennes. Comment ont-elles nourri votre création, que vous avez choisi de faire en anglais ?
Comme vous le savez, l’Inde est un pays, une culture, qui n’existe que dans les multiples. Et, et à moins que l’on soit dans un village très éloigné de tout, l’univers sonore qui nous entoure est multilingue. Quant à moi, mon père étant militaire, on changeait de ville/de région tous les deux ou trois ans, et les cantonnements où j’ai grandi étaient comme un microcosme du Sous-continent entier, avec des gens de toutes les religions, issus de toutes les régions : les langues communes étaient l’hindi et l’anglais, et ce dernier est vécu moins comme une langue imposée chez les peuples de l’Inde du Sud ou du Nord-Est, par exemple, que l’hindi qui est la langue dominante dans le Nord. 
 L’anglais est une des langues indiennes, une des vingt langues officielles en fait. Du coup, et après environ deux siècles de colonialisme, l’anglais est tout aussi naturellement un choix pour les écrivains de l’Asie du Sud que le français en est un pour des écrivains aussi divers qu’Aimé Césaire, Gauz ou Samira Negrouche. Bien sûr, c’est une pratique plus répandue dans des milieux urbains, souvent privilégiés, mais l’anglais est aussi perçu comme une langue de subversion, y compris pour les écrivains opprimés, dont le grand penseur et politicien dalit Ambedkar au 20eme siècle.
 Le plus grand « choc des cultures » que j’ai éprouvé durant mes premières années en France, c’était le monolinguisme affiché ici. C’était le début des années 2000, et même à Paris, on entendait très peu d’autres langues autour de nous, pour moi c’était une expérience inouïe ! Donc, à vrai dire, j’ai (re)commencé à écrire en 2005-6, par soif du multilinguisme qui était, auparavant, le socle de ma vie. Écrire était une manière de dialoguer avec les langues qui m’avaient formée. J’écris certes en anglais, mais c’est un anglais qui est tout aussi épicé par les rythmes du Malayalam que par la synesthésie courante en Ourdou ou la capacité qu’on a en français de créer de nouveaux verbes à partir de substantifs.

Rencontre avec Karthika Naïr, poète franco- indienne, Institut français d'Inde. 

Avant d’aborder votre fascinant Cantique des lionnes, intitulé Until the lions dans le texte original anglais, pourriez-vous nous parler de la place du Mahabharata dans une culture indienne dont vous connaissez si bien la pluralité ?
Le Mahabharata est une des deux épopées fondatrices du Sous-continent indien, et aussi très présent dans l’Asie du Sud-Est (car il a voyagé en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie…). Je dirai qu’il imprègne encore plus la cosmogonie de la région que les ouvrages d’Homère dans l’hémisphère Nord : depuis deux millénaires, leur présence se répand des arts vivants à l’architecture et l’iconographie (des fresques dans les temples et les palais aux motifs dans les textiles) et même aux langues elles-mêmes (des dictons et des proverbes), dépassant les frontières des pays, des ethnies et des religions (il y a un Mahabharata commandité par le grand empereur moghol Akbar, et un mappila Ramayana des musulmans au Kerala ; un Mahabharata des jaïns et des celui des bouddhistes…). Les Dalits (ou castes opprimées) et les Adivasis (les peuples autochtones des forêts) ont leurs propres ‘versions’ de ces épopées…. Elles ont toutes cohabité depuis des millénaires, elles ont été le socle de la nouvelle industrie du cinéma d’il y a un peu plus d’un siècle. Le mouvement indépendantiste s’en est servi pour transmettre des messages qui pourraient échapper à la censure du gouvernement colonial.
Réécrire le Mahabharata, c’était une tâche monumentale, elle-même inscrite dans cette multiplicité qui le caractérise. Pourquoi cette réécriture ?
Justement parce que cette multiplicité, ce syncrétisme – qui m’a formée comme personne, comme créatrice et des générations avant moi, et reste pour moi, les plus grands joyaux du génie indien – est terriblement mis en péril aujourd’hui. L’insistance sur une version originale « pure » et immuable – comme le font les pouvoirs politiques hindouistes aujourd’hui – va profondément contre la tradition d’ouverture et de curiosité qui pour moi était le plus riche des patrimoines en Asie du Sud. L’espace pour questionner les épopées, les croyances, ainsi que les évolutions religieuses (bhakti, soufisme, sikhisme, jaïnisme, bouddhisme) est partie intégrante de la création artistique depuis toujours. Dans la littérature, on pourrait facilement remonter au moins jusqu’à Bhasa, le grand dramaturge (dont les dates sont incertaines, peut-être le 2ème siècle de notre ère). Il a écrit plusieurs pièces où il imagine d’autres destins possibles pour les personnages du Mahabharata, ou les vies intérieures des personnages qui sont les méchants. Je pense notamment à Urubhanga dans laquelle Duryodhana – le prince kaurava dont l’ambition aussi débordante que la jalousie pour ses cousins, les pandavas, provoque le cataclysme de la guerre de Kurukshetra – contemple ses actions et ses erreurs au chevet de sa mort).
Je voulais justement reprendre ce formidable héritage – qui est la liberté de l’imaginaire – en revisitant l’épopée à travers le regard de ses personnages secondaires, parfois les plus marginaux et marginalisés : des fantassins, des servantes, une chienne, une princesse déshonorée et abandonnée… Parce que la vision de la victoire ou de la défaite change radicalement selon la position que l’on a sur le champ de bataille, selon ce que l’on a à perdre ou à gagner. Pour les familles des fantassins (et le chœur récurrent du Cantique des lionnes est celui des amantes et des épouses de soldats), par exemple, quel que soit le royaume vainqueur, elles risquent de perdre leurs proches pour toujours : la gloire de la victoire ou les terres conquises comptent peu. C’est le prix terrible de ces conflits que je voulais interroger.
Vous êtes fine connaisseuse des littératures indiennes. Que représentait ce projet que vous avez entrepris en anglais ? Y a-t-il eu des obstacles formels à franchir pour y parvenir ?
Vous savez, il y a cette phrase d’Alexander Pope, « For fools rush in where angels fear to tread » ? Je crois que c’est le fou se rue là où le sage n’ose mettre le pied ? Quand j’ai démarré le projet du Cantique des lionnes, je n’avais aucune idée que ce serait aussi une tâche aussi énorme, que je serais complètement plongée presque six ans dans l’univers de cette épopée, les diverses – et passionnantes – incarnations qu’elle a prises durant plus de deux millénaires, à travers de multiples langues et religions et en de nombreuses latitudes. Elle est une sorte de palimpseste de différents peuples, de leurs préoccupations et de leurs revendications. Je n’ai pas davantage songé à ce qu’elle allait représenter. 
 Comme je l’ai précisé, il n’y a rien d’étonnant à ce que je l’aie écrite en anglais, une des langues indiennes. Il doit y avoir environ cent millions de personnes en Inde qui sont anglophones, et peut-être entre dix ou vingt millions dont c’est la première ou la deuxième langue. 
 Quant aux obstacles, peut-être le plus grand a été le grand nombre de ces sources qui n’ont pas encore été traduites ou sont inaccessibles ! J’ai lu, et visionné, autant de réécritures et adaptations du Mahabharata que possible : en poésie, en prose, en bande dessinée, en théâtre dansé, arts de la rue, série télévisée…mais la démarche n’a pu être que partielle. 
 Après la question a été de savoir s’il était prudent de publier ce livre dans le climat actuel. Et mon éditrice indienne est formidable, elle ne m’a jamais demandé de changer quoi que ce soit pour rendre le texte plus convenable. 
Le cantique des lionnes est parfois considéré comme un roman expérimental, parfois comme de la poésie. Qu’en pensez-vous ?
J’adore le fait qu’il joue avec les genres, qu’il soit perçu tantôt d’une façon tantôt d’une autre, à vrai dire ! Je suis quelqu’un qui déteste les étiquettes, parce qu’elles nous réduisent, qu’il s’agisse de personnes, des livres ou d’œuvres d’art. Mais je crois qu’une fois le livre abouti en tant qu’œuvre d’art, il appartient aux lecteurs/auditeurs/spectateurs, et ils peuvent le nommer et l’intégrer en eux comme ils le souhaitent, comme ils le sentent : c’est leur prérogative. Et en ce sens, c’est une immense chance pour moi que Le Cantique… ait obtenu (ou que des lecteurs/professionnels lui aient conféré) différentes récompenses : en Inde, il a obtenu le prix « Tata Literature Live Award » pour le meilleur livre en fiction, il a été nominé aux côtés des romans de mes héros, Salman Rushdie et Amitav Ghosh, entre autres. En Angleterre, en revanche, il a été dans la section « Highly Commended » du Prix Forward de la poésie… 

Au-dessus et sous terre : Entretien avec Karthika Nair, Forum de l'Institut culturel indien.

Ce livre a bien une dimension iconoclaste, me semble-t-il. Comment a-t-il été accueilli en Inde ?  
Étonnamment bien. Je pensais avoir écrit un petit livre de poésie (pas en dimension, il faisait environ trois cents pages !) en anglais, que seules une poignée de personnes allaient lire. Ma seule inquiétude c’était que mon éditrice ne se retrouve pas prise dans des querelles car c’était une période marquée par la montée fulgurante des lynchages des minorités, des attentats contre des écrivains-penseurs (Govind Pansare, Dr. Narendra Dabholkar, le Professeur M. M. Kalburgi, ensuite la journaliste-rédactrice Gauri Lankesh), et des restrictions croissantes sur la liberté d’expression. Une période marquée par des événements tels que le retrait du livre de Wendy Doniger (On Hinduism) par son éditeur et un changement même de cursus universitaires (notamment la suppression au Delhi University d’un sublime essai du grand poète/linguiste/traducteur/folkloriste A.K. Ramanujan, Three Hundred Ramayanas: Five Examples and Three Thoughts on Translation) à cause de la pression des forces de l’extrême droite. Ce sont des choses – notamment le cas de l’essai d’A. K. Ramanujan – qui ont façonné la conception du livre lui-même mais qui ont aussi influé sur sa réception, je crois. Du coup, cet ouvrage a reçu beaucoup d’attention : plein de lecteurs, de chercheurs, et d’artistes y ont trouvé une interrogation du pouvoir, de la guerre et du conflit comme des dispositifs pour maintenir le pouvoir et effacer nos préoccupations avec des valeurs plus essentielles comme la justice ou la probité. Ils tenaient au fait que le livre tente de souligner le prix de ladite guerre sacrée sur les citoyens, surtout les plus fragiles.
Il n’a pas plu aux éléments conservateurs, bien sûr. J’ai eu des réactions excitées pendant des rencontres ou lectures publiques notamment par ceux qui prennent l’épopée au pied de la lettre ou estimaient que je n’étais pas respectueuse des dieux, ou que je remettais en question l’importance de la guerre sacrée. Des revues qui m’ont interviewée ont dû fermer la rubrique des commentaires tellement il y avait des gens offusqués qui prenaient ombrage. Et des gens de la famille “élargie” qui ne sont pas du tout contents, bien sûr. Mais de toute façon, ils trouvent que je mène une vie incompréhensible, et que j’ai des positions politiques très douteuses !
 Dans sa version originale anglaise, Until the lions a déjà beaucoup voyagé dans le monde. Quelles ont été les réactions, les questions de vos lecteurs ?
Oui, dans sa version en anglais en Grande Bretagne (Arc Publications, 2016) et en Amérique du Nord (Archipelago Books, 2019). Il y a aussi eu plusieurs adaptations : d’abord une création en danse signée par Akram Khan (2016) qui a tourné de par le monde jusqu’à la pandémie ; un opéra dansé (2022) avec une partition originale du compositeur Thierry Pécou et une mise en scène de Shobana Jeyasingh, c’était une commande de la très grande Eva Kleinitz, feu directrice de l’Opéra national du Rhin, qui voulait retrouver le verbe du livre quand elle a vu la pièce chorégraphique d’Akram, et donc a décidé de produire une version lyrique du livre. Ensuite Beneath the Music, une adaptation en théâtre (2023) mise en scène par Jay Emmanuel de la compagnie Encounter Theatre à Perth en Australie qui est particulièrement précieuse pour moi, car elle s’enchevêtre entre le temps mythique et l’Inde actuelle mettant en exergue des questions d’exclusion des queers (pourtant très présents dans certaines versions régionales de l’épopée) et des castes opprimées. Là, il y a une nouvelle adaptation en cours pilotée par la grande comédienne Corinne Jaber (qui a, le hasard fait, joué le rôle d’Amba/Shikhandi dans Le Mahabharata de Pater Brook et Jean-Claude Carrière), en tout début de phase de recherche. 
 Il est également étudié dans des facs de littératures post-coloniales, de littératures comparatives, ainsi que de « creative writing » … j’ai animé des cours et des rencontres, en personne et en visio, dans des universités aussi lointaines que Yale et Harvard, Shiv Nadar ou Ashoka près de Delhi, Liverpool et Northampton ou bien New York University Abu Dhabi…
 Ce qui m’émeut c’est que les lecteurs, surtout les jeunes, puisent dans l’âme du livre, et transcendent les éléments très particuliers à la culture sud-asiatique, menant à des discussions passionnantes sur la perte et le deuil, sur l’ambition et son avers, l’envie, le tiraillement entre la justice et la loyauté envers ses proches… mais ça relève surtout de la force du Mahabharata, car, comme avec toute épopée fondatrice, on y retrouve les essences intemporelles de notre humanité partagée. 
Vous vivez en France et il était naturel que votre livre aille à la rencontre des lecteurs francophones. Quels problèmes spécifiques à la nature du Cantique des lionnes a-t-il fallu résoudre pour parvenir à la traduction de ce texte aussi puissant qu’atypique ? 
J’ai eu beaucoup de chance parce que mon éditeur chez le Nouvel Attila, Benoît Virot, a pris le livre à bras-le-corps avec tant de passion et d’engagement, tant d’attention et d’intelligence !  J’ai attendu huit ans pour que le livre trouve son « chez soi » en France, pour qu’il y ait un éditeur qui s’engage à une traduction polyphonique (nous avons cinq brillants traductrices et traducteurs), à mettre leurs noms sur la couverture (c’est moins l’habitude en France, en général). Et Benoît a créé la plus belle de toutes les éditions : il a trouvé un financement pour que l’on puisse imprimer en couleur (indigo et écarlate, les deux couleurs d’Amba) ce que l’on n’a même pas pu faire dans les éditions en anglais (j’ai chaque fois joué avec des teintes de gris auparavant). De plus, il a passé commande à ma collaboratrice sur les livres jeunesse, l’illustratrice Joëlle Jolivet, de dix-neuf portraits pour chacun des personnages : des images saisissantes ! Donc l’attente a vraiment valu la peine. 
Les problèmes étaient avant tout techniques, car chaque voix s’exprime en forme différente, soit dans une versification formelle (rubaï, sonnet, pantoum, tanka, sextine, canzone…) soit en calligrammes… c’était ma manière de dépeindre les singularités de chaque personnage, leurs états d’esprits ou leurs motivations. Et chaque langue, comme vous le savez si bien, a ses spécificités. L’anglais est plus économe que le français, si l’on garde la même métrique, par exemple, en français, c’est souvent plus raide ? Est-ce le mot ? 
 Donc mes traducteurs ont dû avoir à la fois beaucoup de talent mais aussi beaucoup de patience et d’inventivité pour s’assurer qu’en français on retrouve l’individualité de tel ou tel personnage comme véhiculée par la sonorité de leurs voix. C’est un livre à la fois très visuel et très sonore, plein de jeux de couleurs et de formes, sur la page et pour l’oreille. Entre Benoit, et l’équipe des traducteurs, j’étais gâtée, tout simplement gâtée.

Présentation de l’auteur

Karthika Naïr

Karthika Naïr est poète, dramaturge, fabuliste et librettiste. Le cantique des lionnes (Until the Lions : Echoes from the Mahabharata),  réécriture à plusieurs voix du Mahabharata, épopée fondatrice en Asie du Sud, a été récompensé en 2015 par le « Tata Literature Live Award for Book of the Year » en fiction.  Le livre a été très remarqué lors des “Forward Prizes” en 2016. Il a été adapté à plusieurs reprises pour la danse, le théâtre et l’opéra. Les Oiseaux électriques de PothakudiElectric Birds of Pothakudi – illustré par Joëlle Jolivet – a remporté le Prix Felipe de littérature écologique pour enfants, et a figuré dans les dernières sélections du Jugendliteraturpreis 2023.

La poésie de Karthika Naïr a été publiée dans de nombreuses anthologies et revues, comme Granta, Los Angeles Review of Books, Poetry Magazine, Poetry International, Indian Literature, The Bloodaxe Book of Contemporary Indian Poets, the Forward Book of Poetry 2017, ainsi que Versus Versus: 100 Poems by Deaf, Disabled and Neurodivergent Poets (à paraître en 2025 chez Bloodaxe). Elle a été lauréate d’une résidence à Sangam House (Inde) en 2012, ainsi qu’à la Fondation Toji (Corée) en 2013, puis à la Villa Marguerite Yourcenar (France) en 2015. Son dernier recueil de poésie, A Different Distance (Milkweed Editions, 2021), des renga écrits à quatre mains avec la poète américaine Marilyn Hacker, a figuré sur la liste de recommandations de Ms. Magazine en automne 2021 puis a été sélectionné dans Indie Next en décembre 2021.

Parmi les performances dont Karthika  Naïr a écrit les scripts :   ROOH: Within Her (2024) de Urja Desai ThakorePETTEE: Storybox (2024) avec le romancier Deepak Unnikrishnan; la pièce Beneath the Music (2023) mise en scène par Jay Emmanuel au théâtre Encounter à Perth (Australie); Mariposa (2022) de Carlos Pons Guerra,  une réécriture queer de Madame Butterfly, opéra de Puccini; et plusieurs des productions de danse primées de Akram Khan, dont Le cantique des lionnes (2016), adaptation d’un chapitre de son livre éponyme.

Karthika Naïr est cofondatrice de la compagnie du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, Eastman, et productrice exécutive de plusieurs des œuvres de Sidi Larbi Cherkaoui, ainsi que celles de Damien Jalet. Entre 2010 et 2015, elle été programmatrice associée du Festival Equilibrio à Rome avec Cherkaoui. En 2012, elle a créé les Prakriti Excellence in Contemporary Dance Awards (PECDA) pour la Fondation Prakriti (Inde), une initiative unique pour la danse dans le Sous-Continent indien, et elle en a été la directrice artistique pendant quatre éditions biannuelles. Elle est actuellement chargée de rechercher de nouveaux spectacles de danse en tant que membre du Rose International Dance Prize, une nouvelle initiative globale, organisée par le Sadler’s Wells Theatre, à Londres : elle est aussi membre du jury qui choisira les finalistes de l’édition inaugurale.

© Crédits photos Koen Broos

Bibliographie 

La poésie de Karthika Naïr a été publiée dans de nombreuses anthologies et revues, comme Granta, Los Angeles Review of Books, Poetry Magazine, Poetry International, Indian Literature, The Bloodaxe Book of Contemporary Indian Poets, the Forward Book of Poetry 2017, ainsi que Versus Versus: 100 Poems by Deaf, Disabled and Neurodivergent Poets (à paraître en 2025 chez Bloodaxe). Elle a été lauréate d’une résidence à Sangam House (Inde) en 2012, ainsi qu’à la Fondation Toji (Corée) en 2013, puis à la Villa Marguerite Yourcenar (France) en 2015. Son dernier recueil de poésie, A Different Distance (Milkweed Editions, 2021), des renga écrits à quatre mains avec la poète américaine Marilyn Hacker, a figuré sur la liste de recommandations de Ms. Magazine en automne 2021 puis a été sélectionné dans Indie Next en décembre 2021.

Poèmes choisis

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