1

Le Peintre

Assis entre la mer et les immeubles
Il se plaisait à peindre le portrait de la mer,
Mais comme les enfants imaginent qu’une prière
N’est que silence, il s’attendait a ce que son sujet
Surgisse sur la sable, et, saisissant son pinceau,
Se colle en autoportrait sur sa toile.

Il n’y a pas eu de trace de peinture sur la toile
Jusqu’au moment où les habitants des immeubles
L’ont  encouragé :  « Tentez de vous servir du pinceau
Comme d’un moyen vers une fin. Désignez, pour le portrait,
Un sujet moins furieux, moins ample, un sujet                           
Plus à l’écoute de vos humeurs changeantes, où peut-être d’une prière. »
Comment  leur expliquer qu’il priait déjà
Pour que la nature plus que l’art naisse sur sa toile ?
Il choisit son épouse comme nouveau sujet
L’amplifiant, à l’image de bâtiments en ruines
Comme si s’oubliant le portrait
S’était exprimé de lui-même sans pinceau.

Encouragé il a trempé son pinceau
Dans la mer, murmurant une prière lui montant du fond du cœur :
« Mon âme, la prochaine fois que je peindrai un portrait
Que tu viennes dévaster la toile. »
Les nouvelles se sont répandues comme de la poudre, enflammant les bâtiments :
Cet artiste avait retrouvé son sujet auprès de la mer.

Imaginez un peintre crucifié par son sujet !
Trop épuisé pour lever son pinceau,                     
Son attitude attire des artistes penchés aux fenêtres des immeubles
Avec des rires cruels : « Nous n’avons plus aucune chance
Maintenant  de  nous étaler sur la toile
Ni d’engager la mer à s’asseoir pour qu’on fasse son portrait. »

On l’a décrit comme un autoportrait,
Et à la fin toute trace de sujet
Commença à s’évanouir, laissant  la toile
Parfaitement blanche. L’artiste posa son pinceau.
Et soudain un hurlement en forme de prière
Monta des immeubles grouillant  de monde.

Ils l’ont jeté, le portrait, de la plus haute des tours ;
Et la mer a dévoré la toile et la brosse
Le sujet ayant pris la décision de demeurer prière.

 

Traduction en français du poème original en anglais, “The Painter” (1956),
par Elizabeth Brunazzi (2012), relue par Matthieu Baumier

Tout droit de reproduction de la traduction française par permission d’Elizabeth Brunazzi et Matthieu Baumier.