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LE QUATRIÈME

 

Hier soir dans cette pièce ils étaient quatre,
à la table aux chaises dépareillées,
leurs souffles et leurs regards
composaient une croix invisible,
ni assiettes, ni couverts,
aucun atlas, pas même un jeu de cartes
— comme ça, ils étaient assis là, semble-t-il,
sans aucune raison capitale.

Parlaient-ils, se chamaillaient-ils,
échangeaient-ils des souvenirs de leur jeunesse
et d’autres expériences, à une table vide
— quoi qu’il en soit leur réunion semblait
sans aucune raison capitale.

Mais, au matin, la nuit n’en restitua qu’un,
un couteau dans la poitrine, dans une chemise
tachée d’un sang aux diverses
nuances. Rien ne manquait,
rien n’avait disparu : un peu de monnaie,
une chaîne en or, quelques photos ;
une montre-bracelet en argent
qui marchait encore, tout était en place,
tout, sauf la vie, le souffle, le cœur.

Où donc la nuit emporta-t-elle les trois autres,
il est vain de le demander. Sinon comme décor,
la nuit ne participe pas si souvent
aux drames des hommes. Sauf que, peut-être,
peut-être, une autre nuit, les a rejoints un nouveau quatrième,
qui sait, cette nuit-là aussi, au matin, restituera le quatrième.

 

 

Traductions de  Liljana Huibner-Fuzellier & Raymond Fuzellier