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Le vieil homme

Ce qu’il y a de merveilleux avec les mots, c’est qu’ils ne se laissent pas conquérir par le premier venu. Il m’arrive parfois de chanter ce que j’appelle le chant magique du présent, et de me dire que celui qui ne relie pas dans l’instant  le passé à l’avenir marche dans les ténèbres… Je me plonge alors dans le texte, je bois une ou deux gorgées de mots. Puis, la joie me gagnant, je me précipite dans la rue. Je me pavane devant le vieil homme qui reprise ses filets assis sous un platane. J’entends les battements de son cœur qui montent vers la lumière. Le vieux pêcheur est attentif à la réparation des mailles de son filet. Il ne me regarde pas. Ne prête aucune attention à ma venue. Depuis toujours, il connaît le soleil aux rides brûlantes qui donne sens à la raison. J’ai du mal à détacher mon regard de son visage buriné par le temps. Il ne répond pas à mon salut, mais il hoche la tête.

La veille, lorsque j’ai voulu l’aider à tirer ses filets sur le rivage, il a simplement, sans un mot, d’un geste digne, repoussé mon bras.