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Le vif de l’air, cage ouverte de Bernard Bourel

 

Qu'importe si le lecteur ne connaît pas ces lieux-dits qu'énumère Bernard Bourel au fil des poèmes (les Sternes, le Bec du perroquet ou le Bois des sapins…), il reconnaît, jusqu'à les sentir ou les toucher, les molières, les dunes et l'estran qui constituent cet estuaire sauvage qu'est la baie de l'Authie, à peine troublé par les traces que l'homme laisse sur le sable.

Marcher n'est pas une expérience métaphysique ou religieuse, nulle transcendance, nulle immanence dans la démarche de Bernard Bourel : marcher est une simple expérience existentielle tant physique qu'intellectuelle. Le titre du recueil, Le vif de l'air, cage ouverte, du moins sa seconde partie, met en évidence par ses deux significations cette expérience : la cage n'est-elle pas la cage thoracique et la geôle ? Ce lieu où le corps s'ouvre au vent, à l'air en même temps qu'une cage ouverte symbolise la liberté. Dès lors, il ne faut pas s'étonner que la marche soit minutieusement décrite dans ces deux aspects : " Depuis le dedans de la cage de nos côtes / - Deux seulement sur la douzaine sont flottantes - / Le besoin à pleins poumons… " et " Mais à ne rien chanter tant c'est calme / Et libre de toute cage sur la baie " écrit Bernard Bourel… L'activité physique est captée par ces expressions : " à pleins poumons " (déjà signalée) , " ouvrir la prise d'air ", " un point de côté ", " humeurs corporelles, sueurs"… Mais marcher, c'est aussi " aller dans l'air qu'on respire ", il s'agit de  " venir au monde " en tant que pendant à l'interrogation que devient-on ?  Bernard Bourel, s'il n'est pas avare de notations physiques, tente de répondre à cette question lancinante avec comme grille de lecture quelques passants prodigieux, quelques clochards célestes. C'est à travers sa lecture de certains poètes qu'il s'approprie l'espace, comprend ce qui lui arrive physiquement, qu'il brise la solitude : car, dans le poème, marche souvent un homme qui ne se confond pas (tout à fait ?) avec le poète, est-ce l'autre ou lui-même qu'ainsi Bourel regarde ?

Le vers se laisse difficilement cerner, oscillant entre le segment très bref et le verset.  Comme si cette hésitation était le meilleur moyen de parler de cette expérience unique et multiple qu'est la marche dans ce lieu où la liberté s'éprouve. Ce n'est alors pas un hasard si le mot laisse qui désigne (lorsqu'il s'agit de la laisse de mer) les débris drossés à la limite de la marée revient sous la plume de Bourel. On pense alors, et c'est renforcé par l'illustration de couverture, aux lavis d'Alfred Manessier (habitué de la baie de Somme qui n'est pas très loin de celle de l'Authie), des œuvres qui expriment la fascination du peintre pour le réel, qui captent l'écho du paysage… Mais la préoccupation écologique n'est pas absente de cette poésie puisque Bernard Bourel ne manque pas de signaler très prosaïquement que sur plus d'un an, " le recul du trait de côte depuis le Bec du Perroquet a atteint plus de cinquante mètres au Bois des Sapins "