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Les amours suivants de Stéphane Bouquet

Une poésie de la modernité, dite, assumée.

Par la forme du recueil, découpé en chapitres qui arriment des textes qui oscillent entre prose et poésie. Prose dans le chevauchement des phrases et la mise en page, faisant fi de la rime, du paragraphe consensuel et du métrage protocolaire. Les titres des différentes parties enchaînent des abréviations qui font référence aux us communicationnels contemporains,  tel « Pdt qlqs mns de soliel » ou bien convoquent l’abrogation des frontières lorsque Stéphane Bouquet intitule respectivement les cinquième et sixième parties « Translating Paul Blackburn » et « East side story ». Instantanéité et atténuation des distances qui séparent les êtres, métaphorisées par le chapelet du système tutélaire qui énonce ce que le monde moderne propose : immédiateté du contact et abrogation des espaces, car le poète convoque également Facebook et Youtube, mais hymne à sa vacuité magistralement portée par tous les interstices du recueil. Prose enfin dans l’énonciation déroulée du « je » qui se tisse dans une trame diégétique dont le lecteur enserre les contours référentiels.

Alors où est la poésie ? Dans le flot sémantique des mots agglutinés comme la multitude à croiser en nos quotidiens derrière un écran, derrière un sms, derrière un voile qui jamais ne s’envole. Dérapages syntaxiques ou choix de paradigmes de la modernité, emploi du langage courant, dérangés par l’intrusion de signifiants hors champ sémantique, et tout dérape, tout glisse vers une autre dimension. Evocation dans ces amas posés de mots sans concession qui disent de la solitude et qu’il s’agit de hisser hors de la puissance lexicale du signe pour la rendre audible. Ainsi les titres des parties deux et quatre « Solitude semaine 1 » et « Solitude semaine 16 », puis celui de la huitième partie « Solitude semaines automne/hiver ». Combien de temps ? Des semaines dans une ipséité perçue telle un parcours initiatique,

 

« Chère Altesse qui vis en moi,
 

Quand tu traînes longtemps de méditation
Dans les salles du château sans souci
Par pur amour des parquets »
 

Le second chapitre invite le lecteur à suivre les journées  énumérées comme un chapelet qui mêle l’évocation du quotidien et l’envolée du regard du poète. Il  observe avec une égale acuité ses contemporains et le flux inexorable de ses heurts d’être au monde, et nous mène  après nous avoir donné à voir toute l’absurdité du devenir humain tel qu’il est engrangé par les siècles d’histoire, vers l’ailleurs

 

« jour 1 : c’est un poème très simple sur
être dans la rue sur
voir des gens sur vouloir
qu’ils contribuent eux aussi
 

aux délocalisations vers nous de l’espoir »

 

Déambulations donc d’une pensée, d’une présence accrue au réel, et lecture sans concession, d’un regard posé en focalisation interne qui nous invite à oser reconnaître l’absurdité

 

« Ici on peut croiser sur le trottoir
police & pompier les sirènes alen-
tour rendent
jeu vidéo euphorique le monde »

 

Et la dernière partie du recueil, « Les amours restantes » fait écho à la première où toute amplitude de l’extrême solitude surgit, magnifiquement énoncée par la superposition du chapelet de signes ensevelis sous une logorrhée parfaite et résignée, telle un miroir glacé sans image, celui que tendent les rencontres amoureuses, tentatives dans l’union de combler toute vacuité, mais tentatives ensevelies dans une langue sans concession dont les secousses sémantiques manifestent toute la violence. Jusqu’au dernier texte du recueil, constat, bilan, résignation et…

 

« et vivre

il faut que ça                             fasse à la fin une histoire

la même peut-être depuis toujours

qu’on se raconte…dans le métro quelqu’un lève

la tête

mèche flottante                                sous bonnet

gris l’air romantico-malade et sa béquille le soutient

 

 

                                                                  …l’hiver sort de sa bouche le métro

roule par ex. les gens montent et descendent

nous sommes suffisamment ensemble »

 

C’est dans l’évocation du quotidien que Stéphane Bouquet puise toute la puissance de sa poésie. Grâce à une langue sans concession qui, de par sa littéralité crue, ses distorsions syntaxiques, le choix de ses champs lexicaux, énonce la modernité, il parvient à donner corps à l’extrême vacuité du réel ainsi qu’à l’absurdité de nos existences atomisées.