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Les bambous

 

Par un morne dimanche, toi et moi achetâmes
Des pots de bambous: trois cannes maigrichonnes
Clouées comme des lances dans une terre
Noire et la nôtre mais pour elles étrangère.

Les longues exilées s’obstinaient sur notre balcon
Se courbant en cadence sous le vent de l'Inde :
Il y eut un simoun, par une aube calme à Buenos Aires,
Et seules nos cannes comprirent ce qui se passait
Et démolissait les cabanes en effrayant les éléphants embastillés.
Plus loin, un rhinocéros ridé
Brama dans la nuit et les gazelles terrorisées
S’enfuirent par notre rue.

Le jour suivant, tandis que j’arrosais les bambous
En caressant penché sur eux
La terre flasque de la plantation,
J'aperçus des yeux jaunes, un corps puissant
Derrière ces cannes minces et ensuite la clameur
Que les feux de signalisation de l'avenue libéraient
Effraya derechef une présence lourde :
Je la vis s'éloigner en écumant et retournant vers moi sa tête acrimonieuse
D’empereur caché entre les cannes : après tout ce n’était qu’un tigre.

 

 

extrait du recueil : Les Imaginations, ed L'Harmattan
Traduction Jean Dif