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Les cahiers du sens, 2017, n° 27

Chercher du sens à Les cahiers du sens n’est pas la moindre entreprise, d’autant que le mot sens en a d’évidence plusieurs. Nul n’y peut rien. Ce foutu mot-là, slalome entre la direction (d’Ouagadougou à Ostende) et la signification (de l’insignifiant au supersignifiant du surdoué mental). 

Ces cahiers du sens – et non les cahiers des sens – traitent d’un thème capital,  L’inaccessible, avec une quasi certitude que personne n’y accèdera puisque, de toute façon, ce n’est pas le but. Au demeurant, cette non-accessibilité singulière a pour gonfalon la citation de Brel « partir où personne ne part » (et non d’où personne ne part). Alors pourquoi et comment partir pour un voyage résumant l’année 2017 qui ne part ni ne va nulle part ?

Les cahiers du sens, 2017, n° 27, Edition Le nouvel Athanor, 248 p., 20 €

Les cahiers du sens, 2017, n° 27, Édition Le nouvel Athanor, 248 p., 20 €

Une tâche redoutable. Au total 106 auteurs – total approximatif non garanti vu les doublons - répartis dans les rubriques « anthologie, lecture, voyage » et dont 22 par ordre alphabétique se situent hors rubrique (ce qui signale sûrement quelque chose comme le vrac, le hasard, le résidu, l’inclassable). Il est vrai que l’éditeur Le nouveau Athanor ((Athanor, four de l"alchimie.)) revendique la publication de la « culture marginale » en divers domaines (philosophie, poésie, astrologie, etc.). C’est donc cette « recherche » dans les marges, au sens où elle n’accède généralement pas à aux « circuits sociaux et économiques traditionnels » (dont probablement la publication) que nous explorerons volontiers.

Faute de pistes tangibles, errons d’abord en lecture, avant de choisir des escales arbitraires tous les 20 kms (autrement dit toutes les pages multiples de 20, à commencer par 20). Des bornes éventuelles sur la route de cette promenade dans l’utopie.

Escale 1, page 20, chez Eric Désordre, Il est parti, je vais venir. Son inaccessible est un chemin vécu à travers la mort du père par « protocole » (euphémisme pour ne pas dire euthanasie) et dans une version Roberto Benigni (sans doute La vie est belle). Le fils récupère ce qui reste du mort-fantôme (sacs plastique et fauteuil roulant). Or un mort est mort et il repose « de l’autre côté » du monde. Le fils n’ira pas jusqu’à la chambre froide.

Escale 2, page 40, L’inaccessible étoile. Alain Noël poursuit un chemin mystique qui va d’un Jean à l’autre (de l’Evangéliste à Saint Jean de la Croix) en s’arrêtant à Saint Matthieu. Il cherche à « être en état d’apesanteur », autrement dit à être « rien de rien » (dixit Montée du Carmel) car dans le Rien se cache le Tout.

Escale 3, page 60 (commencée page 59), L’icône pour appeler et veiller l’inaccessible, Anne de Commines cherche « le rythme spectral » de cette l’image  particulière qui facilite « l’accès au divin ». Nous « habitons le Mystère », enveloppés de silence. Là advient la poésie.

Escale 4, page 80, Un début d’éternité est un poème d’amour filial d’Anouk Berthier. La fillette se réchauffe « au bois des bras » de son père. Tous ses souvenirs ont été protégés par celui-ci, auquel elle tend la main « pour prendre désormais sa place ».

Escale 5, page 100, Ségeste. Annie Coll s’interroge sur ce temple dorique dont « l’épure géométrique »… « distille les veines des collines » siciliennes. Quel inconnu en a conçu la forme ?

Escale 6 page 120, Le temps qui passe de Dominique Fabre. Le temps porte justement « les habits du temps qui passe ». Exception sociale notable dans un poème, un « ouvrier » sans âge ni prénom y paraît « le dimanche ».

Escale 7 page 140, D’entières larmes. Martine-Gabrielle Konorski ressent des « douleurs » imprécisées. Elle se laisse hanter par ce « vide muet, sans couleur et sans nom » qui lui est un « compagnon d’impatience ».

Escale 8, page 160, La crèche suburbaine. Pascal Mora évoque la naissance dans un « monde ancien »  de toute forme de vie : enfant, jardin, violettes, rosée, arbres, souffle, rumeur, beauté. A l’image de ces créations, « nous sommes des âmes dans ces corps ».

Escale 9, page 180, Villes de Michel Politzer. L’auteur entame un périple dans des villes que la destruction a mué en mythe (Troie, Carthage, Guernica, Oradour, Hiroshima, Alep) Il en appelle aux « tribuns » « aux mots acérés » afin de « brocarder les puissants ». Il ne veut pas laisser « sombrer l’avenir des hommes sous les ruines d’Alep »

Escale 10, page 200, Dialogue volé à Stéphan Sweig. Maïté Villacampa évoque la rencontre d’un homme et d’une femme en attente de dialogue. La femme, extraite d’un roman de Sweig invite l’homme à lire le roman. Une situation à la Handke !

Escale 11, page 220, Nicole Sauvage, ancienne élève de Marie-Claire Bancquart, a lu son Qui vient de loin ? (Castor astral, 2016). En cette poétesse si « humaine » règne la « sagesse et l’humilité ».

Escale 12, page 240, Là-bas. Monique Leroux-Serres voyage dans l’île de la Réunion. Elle croise, sur ce lieu envoûtant, la célèbre citation de Baudelaire et des haïkus de Chiyo-ni.

Escale.., page 260. Enfin. Elle est la page qui n’existe pas. Elle est donc parfaitement, totalement, définitivement Inaccessible. Ouf. Elle est finalement le vrai lieu de cette revue thématique, peut-être même sa raison d’être. Voila qui évite de faire la synthèse entre les inaccessibles si diversifiés des écrivain.es présent.es dans ce laboratoire d’édition! Ont-ils trouvé le « langage universel » rêvé par la franc-maçonnerie ? Ils semblent au moins progresser – ou cherchent à le faire - sur leur chemin initiatique.