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Les Carnets d’Eucharis, version papier, opus 2

 « Eucharis me dit que c’était le printemps » écrivait Arthur Rimbaud dans Illuminations, ce Carnet 2 est luxuriance et luminosité. Nathalie Riera ne fait pas semblant avec la poésie, la littérature, la photographie, et les Arts Plastiques. Tout est là, choisi et composé. Le sommaire, dense, tient ses promesses : Etienne Faure (Entretien conduit avec Tristan Hordé), Au Pas du Lavoir (neuf poètes), Le Chantier du Photographe, Portfolio (cahier visuel et textuel), En Haut du Pré (anthologie de textes contemporains et de paroles d’artistes), Traductions (six poètes), Portraits, Lectures. A cela s’ajoutent des photographies de Nathalie Riera : Au Jardin Hanbury, elles ne jalonnent qu’en apparence les différentes parties, elles invitent à avancer encore plus, à se laisser surprendre par ce printemps où chaque contributeur offre son regard et sa voix, son œuvre. Découverte, oui, à l’égal de l’œuvre photographique de Eric Bourret dans Portfolio: « L’ivresse des sommets », qui, nous écrit François Coadou « invite à ressentir la vie fût-ce un instant seulement dans l’ivresse dionysiaque des sommets, qui est aussi celle des abîmes, en esprits libres. » Au Pas du Lavoir, lieu de rencontres et de paroles, laisse les voix plurielles approcher, saisir le lecteur, anthologie surprenante où foisonne et brille la force de la poésie, quelques étincelles entre autres, Fabrice Farre : « Je laisse cette chaise contre la mienne/je vieillis plus vite si j’oublie le temps/et le corps qui venait s’installer »,  Corinne Le Lepvrier : « /enfant petite en avance et pressée je pleure tout cela déjà : preuve que l’on n’a pas d’âge que l’on ne possède rien. », Marie Etienne : « cette mort étalée dans le bus, ce chagrin dévoré de tendresse, l’inanité de ce diamant, stupide, énorme, dans un appartement déserté par la mort ». La voix d’Aurélie Foglia ne s’encombre pas du tumulte des eaux, elle sait extraire l’essentiel :

 

Avoir perdu
la main
 

Sourire au mot
Poésie
 

Mal interpréter
ce sourire

 

Dans Le Chantier du Photographe, le texte de Claude Minière : Sur une photographie extrait de « Mallarmé & les fantômes », fait sienne cette phrase de Blanchot : « le langage offre le spectacle d’une puissance singulière et magique ». En Haut du Pré nous rappelle ce parti pris de Nathalie Riera de ne faire l’impasse d’aucune forme artistique, telle est l’éthique même de sa revue, non pas parcours exhaustif de la création contemporaine, mais accueil et reconnaissance de la beauté où qu’elle soit. Le poème dans La Raison Pure de Paul Louis Rossi en est une preuve :

 

le fruit de la grenade
les graines le goût la
couleur la transparence
Puis des oiseaux dans
le cercle d’un soleil noir
boucle close
 

Le soleil il vient
du sol cheval cabré
pur dans le ciel
 

Les traductions, graines aussi de grenade, offrent à ce carnet ses ouvertures sur le monde, où se découvriront : William Sydney Graham, poète écossais, Paul Stubbs, poète britannique, Mort de l’Utopie d’après A piece of Waste Land de Bacon : « du monde d’Eliot, entre les roseaux humains et / le pelvis échoué et brisé du vent, sont encore piégés les quelques/ dernières pages de son livre » ; Mariangela Gualtieri, traduite par Angèle Paoli, au lyrisme vibratoire : « créature drue, toujours agenouillée qui transforme en autel la crevasse/ et le bord du trottoir » ; Juan Gelman, poète argentin ; Viviane Campi, autre voix italienne ; Eva-Maria Berg, poète allemande et Mina Loy poète anglaise :

 

Leda
Visiteur sub rosa
 

S’évanouit au profit de sa fille aînée
entraînant vers les roseaux
l’héritage et l’obstacle
de sa poitrine d’oiseau

 

Comme elle le fit pour Susan Sontag, dans son article « Mina Loy : une cartographe de l’imaginaire », Nathalie Riera nous invite à découvrir le parcours extraordinaire de cette femme. Avant les lectures (articles serait plus juste), le portrait critique de René Knapen par Claude Darras éclaire la densité tragique de son œuvre picturale, cette « fusion de l’allégorie de la mort et du portrait ».

Oui, ce carnet porte bien son nom : le printemps est là et Eucharis rayonne : Elisabeth Bishop peut écrire que « le jardin des plantes a fermé ses grilles » celui d’Hanbury est sans limites.

 

Les Carnets d’Eucharis, Carnet 2,  année 2014
Rédaction :  Nathalie Riera
Le numéro 17 euros. Abonnement à la Revue annuelle.
http://lescarnetsdeucharis.hautefort.com