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Les chevals morts d’Antoine Mouton

Le dernier livre d'Antoine Mouton « les chevals morts » est un texte magnifique qui a le courage d'aller où la poésie contemporaine ne s'aventure pas beaucoup, dans l'énonciation de l'amour, de la peur de la perte d'amour, quand  cette perte devient le risque absolu et que le pathétique touche au tragique, à vous arracher des larmes.
Un « ne me quitte pas » contemporain. Mais tandis que  le tempo de la chanson de Brel  se meurt en  une prière perdue qui réduit à néant l'amant, le chant d'Antoine Mouton est  un rythme conquérant qui enracine l'amour dans  la preuve de l'énergie de la langue.

« nous étions  au plus nu au plus défait
même défait l'amour restait
même dépecé par la tristesse
même roué des coups du sort
le sort n'avait rien de mauvais
l'amour faisait de nous des sorciers
(…)
des sorciers avec des mains pour se tenir serrés. »

Il faudrait lire à voix haute ce livre et même dans une danse sacrée, avec Antoine Mouton ou l'homme aimé ou je ne sais quel grand sorcier ou soi-même, danser pour  que la parole incantatoire  qu'il a créée atteigne toute son efficacité. Comme les tribus appellent les pluies fécondantes dans des danses sacrées, il faut ces rites pour que l'amour reste, pour ne jamais être séparés, amputés, tronçonnés.

« même si ton corps  est loin de moi, même si tu t'es levée  avant moi, je  serai là pour sentir la chaleur de ton cul là pour la retenir là pour en jouir et que mon sourire soit l'épouvantail le plus obscène du monde contre la course des chevals morts sur la lande . »

   Pour cette thématique ancestrale, mais qu'il est de bon ton d'atténuer, Antoine Mouton invente une langue à volonté magique ; son poème est un « carmen »,chant et charme dont la force élocutoire  se doit d'atteindre  son efficacité concrète, garder l'amour.

« alors il faut répondre aux chevals morts que nous savons extraire de la tristesse la joie la plus intense
celle qui se creuse celle qui se sort de  sous la terre celle qui fait pépite au milieu des cailloux ce terrible trésor d'être deux ».

la langue se répète avec des petites variations dans un rythme insistant, frappé, comme au mouvement du pied : ce long poème , sans ponctuation, est comme une course effrénée pour maintenir l'amour à l'écart de tout ce qui peut l'interrompre, venu de l'extérieur ou de  soi-même .

L'image qu'Antoine Mouton donne de ces ruptures de ces amours coupés est d'une absolue tristesse. Plus que des individus seuls, ce sont des individus privés d'eux-mêmes. Voici la vérité de notre misère humaine :

« il y a tellement de gens seuls
dont on dirait qu'ils ont perdu des morceaus d'eux-mêmes
il  y a tellement de morceaux
de gens qui ne sont plus eux-mêmes
après avoir perdu quelqu'un ».

A l'opposé, le texte dresse un hymne aux chevaux vivants, les sexes que rien ne désarrimera.

« mon sexe est un cheval vivant ton sexe est une lande de joie ».

On ne peut pas clore cette note sans parler de deux choses : les très beaux dessins de Claire Veritti, comme les dessins sur les totems indiens, traces noires et blanches anguleuses pour éloigner les pas des chevals morts qui cataclopent et leurs qui sèment la déroute dans les interstices qu'on leur laisse.
Et bien sûr il faut admirer le très beau titre inventé par Antoine Mouton dont la faute langagière est le signe du dérapage, de la chute, de l'impossible, de la barbarie de la séparation que la langue elle-même a intégré : belle réussite dans cette force du signfié et du signifiant associés !
« les chevals morts ils disent
      pourquoi aimer toujours la même personne ?
Ils disent
      tu pourrais aimer quelqu'un d'autre
mais c'est de la tristesse ça c'est de la pensée triste
(…)
les chevals morts ils font  dans la pensée des trous où la tristesse  se tord et cuit, où la tristesse ronge et rancit, des trous de petite souris, des trous de peut-être »,