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Les dessous du Festival Voix Vives en Méditerranée

Recueilli par Christine Durif-Bruckert cet entretien avec Sébastien Charles, coordinateur du festival Voix vives de Méditerranée en Méditerranée  a été réalisé durant le Festival , dont les dates correspondent à une période estivale fertile en manifestations. Une sorte de vitalité retrouvée, une « trêve » emportée de haute lutte par la directrice, Maïthé Valles-Bled, et son équipe.

Ce rassemblement  annuel d’une grande richesse offre au public des rencontres et des échanges avec des poètes, des éditeurs, et des voix, vives s’il en est, de celles qui font avancer la poésie, qui la portent, qui la lisent, et l’offrent aux visiteurs venus nombreux malgré les circonstances. A côté de cette programmation officielle se sont déroulées d’autres manifestations, ainsi celles de La Matrice de Thau, association menée de maîtresse-main par deux femmes engagées, qui organise expositions et spectacles, fruits d’une année durant laquelle sont proposés des ateliers d’écriture, de musique, et une présence physique, aux jeunes défavorisés. L’Art comme outil de remédiation a été l’occasion de nouer des liens souvent salvateurs. Témoin de cet engagement auprès des jeunes, la série de manifestations organisées par La Matrice de Thau est le résultat de ce travail quotidien.

Des actions « périphériques » ont enrichi la palette des propositions de cette manifestation singulière dans son déroulement comme l'installation off de l'artiste anglo-italienne Giovanna Iorio, qui a permis aux promeneurs d'écouter des voix de poètes associées aux arbres de la place ou du jardin Simone Weil, quand se reposaient les voix des artistes, et les inédites « soirées au Patio » des éditions Pourquoi viens-tu si tard ? qui ont permis d'entendre poètes en off et poètes invités, mêlant leurs voix dans la belle communion des échanges.

Que souhaiter, si ce n’est que se poursuive ce foisonnement créatif, et que se rencontrent ces univers générationnelles et culturels, au sein d’un Festival augmenté ouvert plus encore sur cette diversité ? Que souhaiter ? Eh bien, que nous puissions encore lire de la poésie, nous rencontrer et vivre dans cette fraternité que seule la présence de chacun autour du poème comme d’un totem, d’un feu incandescent, permet.

 

CDB : Bonjour Sébastien. Le but de cet entretien :  connaître et honorer ton travail sur le festival des Voix vives de Sète et comprendre comment les choses se sont déroulées cette année. Depuis combien de temps es-tu en poste sur ce festival et comment es-tu es arrivé là …. ?
Je suis arrivé un peu par hasard, recruté par Maïté, mais dans un cadre complètement différent. Elle est conservatrice des musées de la Ville et j’avais postulé pour un poste au musée Paul Valéry. De là, en 2010, je suis arrivé sur le Festival qui, à cette époque, n’accueillait qu’une petite trentaine d’éditeurs. Les choses ont grandi petit à petit, et je peux considérer que je suis à plein temps sur le festival à partir de juin. Cette année je suis technicien, ce que je ne suis pas nécessairement les autres années.
Je suis beaucoup en déplacement avec Maïté sur les éditions à l’étranger : El Jadida au Maroc est la première à laquelle j’ai assisté. On a fait quelques éditions à Sidi Bou Saïd en Tunisie, et une collaboration régulière à Gênes sur un festival organisé par Claudio Pozzani, se tient tous les ans au mois de juin. En octobre, il y aura un festival Voix Vives à Tolède avec la directrice, Alicia Martinez qui a été une poète invitée du festival. Il y a aussi une autre édition qui n’a eu lieu qu’une fois mais qui reprendra certainement à d’autres occasions :  l’édition à Ramallah.
Nous avons cette volonté de faire voyager le concept du festival et de l’ouvrir justement à toute la Méditerranée. C’est un festival qui a vocation à se déplacer sur d’autres rives de la Méditerranée. D’autres pays aimeraient l’organiser, comme la Grèce ou le Portugal. Après bien sûr c’est une question de budget :’est extrêmement difficile maintenant, on trouve des partenaires privés, mai peu de subventions.
De plus, cette année, on n’a pas pu avoir de technicien, ce qui nous oblige nous, tous les membres de l’équipe, à assurer des tâches différentes. Les affiches, les panneaux, toute la signalétique c’est moi qui les réalise. Il y a aussi tout un travail de petites mains extrêmement important sur le festival et qui nous prend énormément de temps – et que des jeunes de Tolède assuraient en partie les autres années.
Comment avez-vous réussi à le maintenir cette année alors que tous les festivals de Sète et d’ailleurs ont été annulés ?
Ah ça a été un vrai combat de Maïté. Elle suivait l’évolution de la situation par rapport au Covid. Il a fallu évidemment attendre les autorisations de la préfecture, et de fait on a peu communiqué ou un peu tard. Bien sûr, ça a eu un impact sur le public. Il y a eu une autre particularité aussi, c’est qu’on avait les élections municipales et certains candidats n’auraient certainement pas soutenu le festival. Quand on a eu la confirmation qu'il aurait lieu, c'était aussi sous une forme plus restreinte en ce qui concerne l’occupation de l’espace public.
Et vous avez eu beaucoup de déperdition sur les éditeurs ? Comment fonctionnez-vous ?
Paradoxalement non, parce que maintenant on fonctionne avec des stands payants. J’ai eu des désistements de la part de nombreux éditeurs, de façon tout à fait justifiée : Ils ne se sentaient pas suffisamment en sécurité ou avaient des malades autour deux, ou encore parce qu’en terme de trésorerie, ça leur était difficile d’assurer un hébergement. Mais d’autres éditeurs qui souhaitaient venir depuis très longtemps en ont profité puisqu’il y avait des espaces disponibles. Il y a toujours eu un turn-over : de plus en plus d’éditeurs maintenant connaissent le festival et veulent venir. J’ai toujours une certaine flexibilité sur la place pour pouvoir accueillir des gens, mais effectivement c’est une place qu’on pourrait presque agrandir. Ce serait une expansion relativement limitée pour que je puisse continuer à me déplacer et venir voir les gens. Je ne suis pas là pour aligner des noms sur un programme ou pour placer les gens sous leurs tentes. Ce n’est pas du tout ma façon de voir les choses.
Il m’arrive d’accueillir des maisons d’éditions très peu connues au moment où je les accueille, qui sont en devenir, qui cherchent encore leur identité et qui grandissent avec le festival aussi. C’est intéressant d’avoir ce panel-là.
Un poète n'est jamais invité deux années de suite. Maïté s’appuie sur un comité international où chacun, selon sa spécialité, son pays aussi, sa langue, découvre de nouveaux auteurs qui n’ont jamais été traduits en français. Beaucoup d’auteurs sont traduits en français pour la première fois  à l’occasion du festival.
Les animateurs du festival aussi font des propositions parce qu’eux-mêmes sont poètes et qu’ils font des rencontres. Ce qui nous permet d’avoir des auteurs qui n’ont jamais été invités.
On s’appuie aussi sur les propositions des éditeurs. Certains nous envoient leurs propositions dans l’année. On tient compte évidemment de la qualité du poète, et en général on n'invite que des poètes qui ont déjà été publiés, qui ont déjà un parcours ou une œuvre, et là aussi les propositions d’éditeurs sont bienvenues. De toute façon, ça passe toujours par eux.
Et toi qu’est-ce qui te mobilise le plus sur ce festival.  Qu’est-ce qui te fait vibrer ? enfin si tu vibres…
 Je vibre un peu oui (sourire). J’ai un rapport très particulier aux livres. J’aime les livres. Je suis issu des Beaux-Arts. J’ai fait un peu d’illustration et je connaissais un peu l’édition, pas nécessairement l’édition de poésie. J’ai une tendresse particulière pour les éditeurs. C’est vraiment un métier que je respecte énormément et il y a presque un rapport affectif qui s’est créé d’années en années avec ceux que je connais déjà. J’aime l’idée de bien accueillir les gens
Après, je suis d’un milieu populaire. Mon papa était routier. J’ai tendance à dire que si quelqu’un comme lui passait sur la place, j’aimerai qu’il puisse ouvrir un livre, qu’il ait envie d’ouvrir un livre.
Les festivaliers qui viennent, c’est important qu’ils puissent acheter des livres suite aux lectures. Mais j’aime qu’il y ait des gens justes de passage qui ne s’intéressent pas nécessairement à la poésie, et qui se mettent à ouvrir des livres, et parfois à en acheter. C’est presque une politique de la goutte d’eau. C’est une idée qui me parle vraiment, le fait que tout le monde puisse venir ici à la rencontre des livres, des éditeurs. Il y a beaucoup de gens qui n’osent pas toucher les livres. Ils pensent que ce n’est pas pour eux.
 
On a une particularité aussi sur ce festival, c’est que la poésie en France, ne fournit évidemment pas les plus grosses ventes de livres en France, contrairement à ce qui peut se passer à l'étranger. En France, les gens se disent « ah c'est de la poésie, ce n’est pas pour moi. » Alors qu’on est dans la ville de Brassens, qu’on appelle pourtant « le poète ». Mais quand on parle de poésie, ça devient quelque chose d’inaccessible, d’intellectuel. La poésie a un peu une image de quelque chose de confiné, d’entre soi etc. Alors que c’est tout l’inverse. Si on organisait un festival de rock, de cinéma, les partenaires, on les trouverait demain. La poésie c’est une bulle culturelle. On a du mal à amener les gens vers elle.
Vous développez peu le off. La scène ouverte reste un peu confidentielle malgré tout.  Ça c’est très dommage parce que c’est important cette notion de off.
La scène ouverte  a été un peu plus développée que les autres années. C’est certainement une scène qui doit être mise en valeur. Je suis entièrement d’accord.
Vous avez des projets précis par rapport au festival pour faire évoluer les choses en général ? Tu voudrais faire bouger des choses particulières sur ce festival ? 
Il y a toujours des idées nouvelles, on a aussi le web radio. Il y a plein de choses qui se font autour du festival.
Sur la capacité d’accueil des éditeurs, je pense à l’évolution du confort lié aux stands, à l’ombre en particulier. Ça c’est très logistique. J’aimerai revenir à la gratuité des stands.  Ce serait presque une priorité si on avait le budget. Je pense aussi à une évolution un peu plus forte vers des jeunes poètes du monde hip-hop, du monde urbain, parce qu’on est dans la rue. Effectivement dans le festival, on vit avec le bruit de la ville et il y a toute une jeune génération. Et là je ne parle pas d’âge, mais d’une jeune génération qui, entre guillemets, écrit pour le micro. Il y a des poètes à lire et des poètes à entendre, et il y en a qui savent très bien faire les deux. On a peut-être des scènes à découvrir à ce niveau-là, ce qui permettrait aussi de créer quelque chose de transversal avec une autre génération, avec des jeunes issus d’autres environnements. Je pense à des jeunes de quartiers, mais pas seulement. Peut-être s’ouvrir à la culture gitane, très présente à Sète et à la culture maghrébine. Peut-être avoir des choses qui s’ouvrent vers ces gens qui vivent là et qui sont méditerranéens sans l’être. Mais ils le sont malgré tout et il y a des ouvertures à créer là-dessus. 

 

En périphérie du Festival

 

 

Chaque année le Festival des Voix Vives en Méditerranée s'élargit et d'autres événements sont proposés au public, en périphérie des nombreuses manifestations proposées par les exposants, les participants et les organisateurs de ce qui représente le noyau central du Festival. 

 

 

La Matrice de Thau

Le mini festival de Sète c'est l'idée de Fatima Ouhada. Fatima Ouhada, est présidente fondatrice de l’association de la  Matrice de Thau. Avec toute son équipe de militants bénévoles profondément motivée, l’association veut promouvoir l’accès à la culture des personnes qui en sont  exclues.  Les pratiques artistiques ouvertes aux différentes formes de création, théâtrales, picturales, musicales, qu’elle développe tout au long de l’année, sont de véritables supports de communication entre des population qui s’ignorent, se méconnaissent et s’isolent.  « La culture est une force nous dit Fatima Ouhada. Plus que jamais aujourd’hui, ce droit doit être au cœur de nos préoccupations ». Notre collaboration avec l'association a commencée l'an dernier en juillet 2019, salle du quartier haut de Sète, autour des arbres et du vent, au moment du festival des voix Festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée.

 Nous avions improvisé une exposition, des soirées de lectures poétique  et musicale, et chemin faisant s’est instaurée la première édition du  mini festival  de la Matrice de Thau, comme l'a nommé Fatima Ouhada.

Une deuxième édition ne faisait aucun doute, toujours soutenue par la Ville, Sète agglopôle et son président, le maire de la Ville, les élus, la DRAC et les services de la préfecture de l’Hérault. Le programme 2020 s’est ainsi construit, in extremis, sur le thème très à-propos de l’évasion : Evasion Culture, Evasion Lecture, autour de la magnifique exposition de photographies de Jeanne Davy, une artiste locale, et de ses portraits de  chanteuses de Jazz, les Elles du Jazz.

Du 23 au 26 Juillet, poètes, chanteurs, musiciens et performeurs ont occupé pour trois soirées le parvis de l’Église Saint Louis, un lieu enchanteur sur les hauteurs de Sète. L’une des plus belles vues de la ville en ces soirées d’été. Des soirées denses, rythmées par les morceaux de rap et les intermèdes musicaux de deux talentueux musiciens du conservatoire de la ville de Sète.

Repas et apéritifs dînatoires préparés avec talent par les bénévoles de l’association ont largement contribué à l’enthousiasme, à l’amitié et au partage de ces instants d’évasion tellement attendus après les temps de confinement. Plus de 300 personnes, habitants du quartier, passants et auteurs du Festival, se sont mobilisées et croisées sur ces trois journées, entre exposition et lectures poétiques.

De nombreuses improvisations ont prolongé ce programme déjà copieux. Les auteurs présents sur le Festival des Voix Vives ont participé à la lecture des poèmes de l’anthologie Le courage des vivants, coordonné par Christine Durif-Bruckert et Alain Crozier (Jacques André Éditeur) : Luc Vidal et Eva -Maria Bergue, Stephan Causse, Alain Marc…et Alain Snyers  qui nous a fait participer à sa performance.

En attendant la 3ème Edition 2021…

Un article de Christine Durif-Bruckert

 

Les soirées au Patio

 

Les soirées "Poètes au Patio" ont été organisées par Marilyne Bertoncini et Franck Berthoux qui dirige les éditions Pourquoi viens-tu si tard ? (PVST ?). Ces moments de partage ont été l'occasion de retrouver des poètes tels qu'Eva-Maria Berg, Laurent Grison, Henri Artfeux, Alain Marc, et bien d'autres qui sont venus enrichir ces instants de partage. 

Lambert Savigneux, les "Poètes au patio", une  lecture aux soirées organisées par les éditions "Pourquoi viens-tu si tard ?".

Pascal Ricard et Alain Marc parlent du livre Les Yeux n'usent toujours pas le papier, Soirées au Patio organisées par les éditions "Pourquoi viens-tu si tard?", à Sète, en juillet 2020.

 

Le public a été au rendez-vous, et cette première édition est une réussite. Les poètes présents ont pu échanger avec les visiteurs venus nombreux. Ces moments ont été l'occasion de constater combien la poésie est vivante, fertile et vectrice de fraternité et de liberté, car la convivialité a permis à tous de vivre des moments précieux autour du poème. 

Sabine Venaruzzo au "Poètes du patio", juillet 2020.

Dany Hurpin présente les éditions La Cartonera, aux Poètes du patio, en juillet 2020.

 

L'installation "La Voix des arbres" 

 

Après la carte des poètes du monde, le  projet international « Voix des arbres » de Giovanna Iorio a été présenté lors des soirées des « Poètes au patio » et au cours de la soirée du 23 juillet sur le parvis de l’église Saint-Louis. 

Les poèmes de Giovanna Iorio lus par Marilyne Bertoncini  sur la musique de Lucio  Lazzaruolo, ont, le temps du festival, été écoutés sur le téléphone portable de chaque personne qui le souhaitait en scannant le QR code correspondant auprès des platanes de la place du Pouffre, auprès de l’église Saint-Louis et au parc du Château d’eau. La poésie était aussi présente dans le vent de Sète !