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Les enfants de la foudre

À la lisière du dehors et du dedans
le lieu est la marche sans but

                     [Mirabilia]

 

Chaque parution d’un recueil chez Rougerie demeure un événement. Quel catalogue ! On retrouve là nombre des principaux poètes du dernier 20e siècle, et du début de ce siècle. De beaux livres encrés au plomb et dont il faut comme autrefois découper les pages, imprimées sur beau papier sur les propres presses de l’éditeur. Depuis l’origine, celle de la création de la maison d’édition par René Rougerie, et jusqu’à maintenant, la maison étant reprise par le fils Rougerie.

Franscesca-Yvonne Caroutch donne, avec ces enfants de la foudre, un superbe recueil marqué par la force, la beauté et la sagesse d’une vie de recherche intérieure, en dialogue avec l’univers. Ce n’est pas rien la poésie quand elle atteint à un tel degré d’évocation, une telle plongée dans les méandres de l’être. Du reste, sa poésie a d’emblée été remarquée, dès Soif, recueil paru en 1954, par des noms qui tintent aux oreilles : Reverdy, Paulhan, Jean Grosjean, André Pieyre de Mandiargues ou Gaston Bachelard… Excusez du peu ! Recours au Poème se joint à la lignée de ses admirateurs tant la poésie de Caroutch dit notre préoccupation, celle d’en appeler à la poésie comme cœur de la vie, face aux dérives mortifères de ce monde d’apparences et de sordides illusions. Rien de « guerrier » en cela. Juste un regard réglé sur le monde du réel.

Les enfants de la foudre réunit en une quarantaine de poèmes exceptionnels les différents aspects de la préoccupation de Caroutch, cette vision au-delà du voile de l’illusion, depuis son expérience des traditions tant européenne qu’orientale, traditions dont sa poésie montre combien elles ne sont pas si éloignées quand on les regarde plus comme des complémentaires que comme des contradictoires :

 

Les apparences nous enveloppent
Mais leur essence est vacuité

[Crépuscule d’un mythe]

 

 Dans cette poésie, la Parole circule en quête de lumière retrouvée, comme un appel à l’endormie pour reprendre le titre de l’un des poèmes. Tout est alchimie dans l’œuvre de Franscesca-Yvonne Caroutch :

 

Accalmie
 

De minuscules créatures vivent parmi nous
Elles nous observent
blotties derrière les armoirs
dans une coquille d’œuf
ou dans l’âtre éteint

Ne jamais oublier
leur offrande de fleurs
de quelque menu joyau
ou d’un grain de blé

Elles nous apprendront
à savourer l’ambroisie
de l’inconcevable enchaînement des choses

 

Il est clair que si l’on entendait plus souvent ce genre de voix à la télévision plutôt que celles des imbéciles qui y passent leur temps sous couvert d’expertise (de quoi, on se le demande), le monde se porterait mieux. On entendrait alors une voix rappelant l’humilité de ce que nous nommons le réel.

 

Un poème de Franscesca Y. Caroutch