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Les Langues de Christine Durif-Bruckert

Un recueil habillé de noir, couverture brillante, et toile de Jean Imhoff colorée qui accompagne le titre, Langues, et le nom de l’auteure, Christine Durif-Bruckert. Des textes courts ponctués de dessins de Jean Imhoff, Raoul Bruckert et Sim Poumet. Des nus, femmes et hommes, rythment le travail de l’auteure. Dés l’abord, une certaine étrangeté attire, pousse le lecteur à feuilleter, pour découvrir les entrailles de ce recueil, ouvrir le carcan de la nuit et comprendre la dichotomie qui se dresse, là, dans l’éclatement des couleurs sur ce fond sombre.

Christine Durif-Bruckert, Langues, Jacques André éditeur,
collection Eclipses, Lyon, 2018, 103 pages, 15 €.

Un horizon d’attente qui intrigue… L’avant propos indique une direction :

 

Ainsi les corps se nouent à la chair du monde, y reflètent les centres de leur tensions,  en redoublent les perspectives.

 

Révolte, premier chapitre, et le texte liminaire, viennent préciser ces assertions premières :

 

Sorte de musique discordante
qui accompagne
la mise en scène de l’événement central du récit.

D’une incomparable brûlance
d’une trasformation
sans pareille 

 

L’événement central du récit est le corps, le temps qui passe sur le corps, les besoins et les agréments du corps, les faiblesses et les contingences du corps… Autant de thématiques à priori classiques, mais qui sont abordées sous l’angle de ce seul vecteur par qui vient la pensée, les sentiments, les sensations. L’incarnation sert de filtre aux sensations et aux pensées d’une conscience soumise à la chair.

Puis nous est proposée une poésie évocatrice, tissée d’incantations. Le vers raconte les errances du corps, devenu symbole de l’emprisonnement de l’être dans  un carcan de peau  voué à un purgatoire dont la porte n’est ici qu’entrouverte. Le vers suggestif de Durif-Bruckert ne cesse de fouiller les abysses d’une projection inusitée de l’imago archétypal de la femme.

 

Son corps s’est légèrement fissuré. Fissure où s’installa pour ne plus s’en déloger un étrange malaise qu’elle apprit à connaître

 

Trace à trace, le langage dessine les contours humides des intériorités crues de la chair. Le corps du poème, râle indiscret et fertile, comme l’humus et la tourbe, traduit le règne du vivant, emprunte des voies détournées, des circonvolutions.

 

Son corps s’est légèrement fissuré. Fissure où s’installa pour ne plus s’en déloger un étrange malaise qu’elle appris à connaître.

 

Ce corps, vestibulaire et carnassier, est l’objet des diverses tentatives d’explorations  génériques de cette poésie qui accroche le poème  l'accordéonesque avancée de la décrépitude, de la maladie, de la disparition progressive de sa substance pulpeuse et vivante.

 

Elle cherche à ramasser son intériorité.

Elle s’appliquait à veiller à l’assemblage de ce décor amorphe fait pour ne pas durer. 

 

Puis l'évocation de la mort, de l'ignorance de la mort dans son approche phénoménologique.

 

Corps déséquilibré par le poids d’une intention qui ne sait pas.

 

Autant de fusées lancées dans l’espace sidéral d’une vacuité charnelle, qui fera des étoiles les néons blafards des ressassements mnésiques de la poète, sortes de déjections au verbe haut comme un bruit sourd perce un espace incertain, celui du temps qui recouvre tous les passages, et où la peau, pliée sous le mystère de son existence, raconte l’immensité des années.

 

Des écoulements incertains et quelques autres traces à peine sensibles, remous indiscrets à peine voilé.

Les restes jamais au hasard, inventent, à l’endroit de leur misère, des devenirs glorieux.

 

La poète, tout en retenue, ne cesse de mener dans ce lieu que l’on ne visite que dans une solitude absolue, l’intériorité de cet antre et refuge de l’âme… Il est l’angle de perception premier, parce qu’il est ce qui nous permet d’explorer le monde enclos dans le langage. Grâce au travail des mots,  il tente de s’extirper de la contingence de son existence. Il semble toutefois que toute transcendance soit absente de ces vers qui convoquent de manière incessante l’enfermement dans la matière, dont on ressent tout le poids…

 

Mais notre incomplétude n’a pas toujours la couleur de ce fruit défendu qui acidifie l’estomac du mystère.

 

A moins que considérer le corps pour mieux en connaître les contours et en appréhender la cessation ne soit l’ultime chemin pour accéder à une transcendance, on se demande si il existe un horizon métaphysique quelque part, sous les décombres de ces lambeaux de chair qui couvrent les pages du recueil ?

 

Les effets de l’organique se dispensent d’une cause. Ils approvisionnent l’âme, sans jamais s’avouer tout à fait, ni dans leur source, ni dans leur devenir.