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L’état actuel des choses (extrait 2)

 

dans le saisissement de l’angoisse il y a cette tension extrême de tous les muscles comme pour retenir l’effondrement du monde –

toujours et encore retrouver une assise sans s’y installer tout l’art d’exister on a beau le savoir il s’agit toujours à tout moment d’être à même de se marier à la moindre seconde c’est une question d’amour et seulement d’amour comme de plonger dans un bain glacé comme de sentir – dans le saisissement du froid – le souffle chaud de son haleine comme de se tenir à la limite où cela ne rompt pas comme mourir et renaître cela apprend et réapprend comme de passer à autre chose malgré la lassitude qui énerve malgré l’irritable ennui la fatigue en se laissant glisser absorber bien malgré soi transporter par la concentration du monde qui survient tout d’un coup et redonne un libre souffle sans même qu’il faille s’en rendre compte c’est une merveille comme ces risques que l’on ne peut pas ne pas prendre sinon c’est plus que menaçant ne pas reculer aller jusqu’à s’avancer s’avancer c’est attirant c’est terrifiant c’est plus fort cela ne s’évite pas on sait intimement que l’on n’en meurt pas comme de faire chaque chose en la faisant vraiment marcher en marchant sourire en souriant donne une ampleur qui rassure juste comme il faut se comprendre comme une réponse possible mais perdre le fil de ses pensées et laisser ainsi place à l’idée qui se fixe paralyse c’est dans le domaine de l’effrayant tout aussi effrayant un certain bouillonnement s’épaissit parfois s’il ne trouve le bon rythme une pensée chasse l’autre et l’on se retrouve sans rien l’équilibre se cherche et ne se trouve pas de pensées en pensées comme par paliers tout autour de soi se cherche et n’est plus sensible c’est un tourbillon qui gagne il y a eu et il y a et il y aura tant d’êtres à secourir en pleine nuit seuls dans le sentiment de la nuit que seule la nuit peut secourir avec l’allant de ce qui reste se soutenant indistinct – si là ils pouvaient entendre – le jour où se ressent la possibilité de ne peut-être plus jamais se sentir capable de marcher dans la rue comme un vacillement vers le bas inarrêtable arrive la plus simple des illuminations toute la force qui se donne à tout moment sans en avoir l’air sans jamais rien demander en retour une fois arrivé jusque là on devrait s’en retourner avec un cœur densément à jamais débordant et y croire et faire plus qu’y croire sans plus se laisser démentir par des riens tout se donne tout d’un coup pour ne pas se disperser ne pas craindre d’être brusqué dérangé perturbé troublé brouillé inquiété – par quoi –  car comme avant et autrement rien ne sera jamais plus comme avant – installer toute la distance d’une sauvage retenue ne pourra rien contre le sentiment aussi peu coupable que déraisonnable à bien y réfléchir si spontané qu’ici et maintenant le monde ne fasse qu’un tour sur lui-même et que tout change en un regard quelle impuissance devrait empêcher d’y croire du moment que l’impatience et le mouvement du cœur se confondent à ne faire qu’un là le monde entier le monde en son entier le sentir se rassembler de toute part sentir là ensemble tous les êtres vivants et morts sentir tout le passé se ramasser dans la consistance cohérente de l’instant sentir l’avenir s’ouvrir ce n’est pas un rêve même le temps d’un instant qui durerait moins longtemps que le plus petit temps possible c’est comme une prière qui se répéterait à l’infini la Raison matérielle aura toujours raison et ramènera toutes choses à la raison pour que parce que rien ne lui échappera et elle se vérifiera toujours et encore dans le moindre détail et soumettra et donnera tort et encore tort quoi qu’il puisse arriver portera ses coups sans jamais se laisser adoucir toucher un cœur qu’elle n’a pas embrassé c’est l’embrasser s’en remettre à l’innocente insolence qui relève de l’avenir qui sait ce qu’il en adviendra cela n’en finit pas à ne plus en finir il suffirait seulement d’y croire de ne pas en douter quelle que soit la seule profondeur de soi exigée cela ne tient à rien l’avenir en répond tout y consent tout un monde en dépend il y va du monde dont nous répondons cela nous appartient

tout comme au premier jour
du premier jour

 

L'état actuel des choses (éditions Al Manar, 2012)