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L’éternité

 

L’éternité. En voilà un problème. Une idée. Une secousse. Un cyclone de fureur. Une horloge arrêtée. Même si ça se déchire partout autour. La musique que j’entends n’est pas si froide. Elle est loin. Sans appréhension, elle se mélange à la distance. C’est de l’amour si tu y penses bien. Au moins un bouillonnement, des messages broyés.

Nous avons rempli toutes les heures de nos guenilles, de nos écorchures bleues. Nous avons sauté d’un palier à l’autre. Nous nous regardions en nous disant que notre naissance était extraordinaire. Rappelle-toi les ouragans, les carreaux cassés, les îles justes là. En face, les maisons avaient des couleurs vertes. Les planches de bois qui traînaient ça et là avaient été volées à des bateaux fantômes. Il n’y avait personne à l’intérieur de ces bicoques. Presque timidement, elles se remplissaient le soir d’une chaleur curieuse. Nous possédions cette force de nous incarner. Nous coulions comme le soleil seul sait le faire. C’était comme ça. C’était une merveilleuse histoire. Extraire des morceaux de ciel était notre facilité. Nous échappions aux usines en nous regardant.

L’abîme qui détache est un chien fidèle. On peut courir, traverser la ville en criant mais rien n’y fait. Se mettre à l’abri minutieusement. Un instant ou toute une vie. Quand ça se déchaîne, il faut fermer les yeux. Oublier que je n’avance pas à ta vitesse.

Tu couvres mon corps d’un rempart fragile. Avec ta force, ton courage, il faudrait écrire. Ecrire quelque chose qui ferait monter. Les torrents dans tes yeux de tigre, je les vois. Un cercle parfait tracé avec art sur le sable en bordure de la route me rappelle que je passe. Une liane de feu coulant de tes nattes comme l’irréversible sagesse de la pierre me dit que j’ai saisi ma chance. In extremis.

J’ai presque oublié. Les vagues nous ont perdu. Elles ont tout pris de nous. Les mots, les syllabes, la corde qui nous reliait. Tu décodes le monde et son chagrin normatif. Les violences, les prisons, les cages, sont pour ceux qui ont ouvert les vannes du vide à la recherche de révélations. J’ai presque oublié. Comme un sac trop lourd, tu laisses tomber ton jeans au pied du lit. Tu donnes ta confiance et puis ta chaleur. Nous nous regardons. Nous savons ce qui nous attache. Notre immortalité de bazar trop lourde à porter, notre répugnance avérée devant ce qui n’est pas littérature. Je te fais couler un bain puis tu glisses dedans. Tu es belle et précaire, sexuelle et revêche. Un élan spontané, une odeur de savon, tout est à désapprendre. Je te rejoins. L’eau est brûlante. Nos nuques obliques font se rejoindrent nos fronts.