1

Lettre avec un fragment de bleu, F. Hàn

Un jour, assis à une terrasse des Chartrons à Bordeaux, un ami, qui connaissait mon goût pour la poésie, me tendit un petit fascicule de 6 X 14 cm en prononçant le nom de Françoise Hàn. Ce nom n’évoquait rien pour moi.

Afin de complaire à mon ami, je lus ce petit livre imprimé sur « des pauvres papiers de fruits ».

Je voulus alors être certain de mon impression première et j’amenais  Lettre avec un fragment de bleu  à une soirée de poésie, organisée mensuellement. Je lus les cinq premières pages dans un premier temps et stoppais net à :

«  […] ce cri faux, dans les ténèbres était insupportable. »

Insupportable, il devait l’être, car mes camarades ce soir-là m’enjoignirent à continuer la lecture. J’attendis pourtant le deuxième set pour la poursuivre, à partir de :

« Prendre la bêche, ensevelir le cadavre désarticulé de l’aurore […] »

Jusqu’à :

« […] Le cri fait le tour de l’univers, revient enfoncer dans la gorge un tampon d’orties sèches. »

La déclamation première de ce second extrait était véhémente, gueulée … puis, sans transition, je reprenais ce passage avec une voix feutrée, sourde.

Depuis, on me redemande souvent les références de cet ouvrage de Françoise Hàn qui ressemble de loin à un paquet de papier pour cigarettes à rouler ou à un bloc de papier d’Arménie.

Par  quatre fois, Françoise Hàn s’adresse à quelqu’un :

« Je t’écris du présent »
« Je t’écris du présent englouti »
« Je t’écris du présent, coque vide, avec des traces d’incendie »
« Je t’écris avec ce fragment de bleu »

Formules qui rythment la scansion de l’ouvrage. On imagine qu’elle s’adresse à Claude pour qui, en 2006, a été composé Un été sans fin, publié chez Jacques Brémond et recensé par Poézibao  http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/03/un-%C3%A9t%C3%A9-sans-fin-de-fran%C3%A7oise-h%C3%A0n-lecture-de-marieclaire-bancquart.html

Peu importe, l’adresse interpelle directement et tout aussi bien le lecteur.

Ce livre est bien plus qu’un cri face à la torture :

« Dans quelle cendre retrouver les victimes des interrogatoires, les silencieuses et celles qui ont parlé»

Ce livre est certainement une condamnation farouche de la catastrophe écologique :

« C’est une mer intérieure qui abandonne son rivage, un désert en formation »
« […] un hameau épargné. Les champs sont en friche »

C’est avant tout une surrection du sensible :

« Qui se lèvera avant le jour, pour quelle tâche invisible ? »

Une reconnaissance de notre vanité :

« Tout ce que nous savions, un fagot de brindilles pas même assez sèches pour flamber clair »

L’aveu de notre renoncement passé à combattre :

« C’est pour cela que nous allons encore debout, avec sur nous la dernière arme que nous n’avons pas rendue »

Françoise Hàn nous met en face de ce « présent, coque vide, avec des traces d’incendie ». Et malgré tout, elle envisage notre capacité à « Comprendre ici, dans notre maintenant confus, une langue qui n’est pas parlée encore » afin d’espérer peut être une « Matière de jour ».

Bordeaux, le 15 avril 2013.