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L’Homme Ployé

 

avant l’aube
bien avant
que le mot aube s’épelle
aux prémices de l’alphabet du jour
fenêtres salies par l’haleine des voix
avant
bien avant
que les mots dessinent les contours des objets
dans la profondeur nocturne
ou peut-être
l’épaisseur du silence
il ne sait pas lui l’autre nom
de cet autre lieu du temps
ce coin dans la pliure de la nuit
son corps
une tâche qui s’étale
humide encore de la cavité maternelle
il y a soudain fumant
café noir en spirale
sa mousse dans la tasse
blanche la tasse et dedans
son visage
bien avant le premier visage nommé
il ne sait pas lui
cigarettes café fenêtre
et derrière la fenêtre sale
de l’haleine des corps passés
la buée d’autres bouches
sur d’autres fenêtres
il ne sait pas
pourquoi mais longtemps
il tentera d’asphyxier
sa vieille amie la mouche
comme une idée qui lui échappe toujours
sur le bout de la langue
il ne sait pas
dans la grotte intime cet océan de bouche
filament de salive entre dent et racine
orée de la gencive
sur le bout de la langue
un souvenir surnuméraire
il tentera plus tard
de remonter à la surface de son corps
dans d’âpres négociations
comptera ses battements chaque minute
recommencera trois fois
dans la raideur de son âge
tout à l’heure chaque membre à son tour
dans la raideur du matin
l’asphyxie commune
des morceaux de silence encore sur les épaules
fondant sous la pluie sale
d’autres regards
ployés sous le même joug