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L’impatience du Tilleul de Geneviève Bertrand

 

L’Impatience du Tilleul : un hymne au lieu

 

Toute sa vie on cherche le lieu d’origine, le lieu d’avant le monde c’est-à-dire le lieu où le moi peut être absent et où le corps s’oublie.

« Les désarçonnés » - P. Guignard

 

Le recueil que nous offre Geneviève Bertrand est un hymne au « lieu », cette matrice à la dimension des adultes que nous sommes devenus.

Hymne au lieu mais aussi au(x) lien(s) qui nous y rattachent, plus fortement encore quand ils se matérialisent à travers l’objet transitionnel par excellence qu’est l’arbre, ses branches, sa ramure qui se couvre et se découvre -les saisons rythment le poème comme un puissant battement de cœur- mais surtout ses racines car l’invisible est à l’œuvre.
 

Qui dit impatience dit mouvement et il y a de la hâte tout au long de ce poème. Du point d’ancrage retrouvé, la passion déborde, suinte, monte l’escalier, dégouline de la falaise, suit le sentier.

 

Marcher
Dans l’éblouissement du jour
Marcher
Son irrépressible

 

D’un pas à l’autre         d’une pierre à l’autre
Etre projetée
 

Il y a du pèlerinage dans cette marche, du rituel dans les gestes accomplis :

 

Ouvrir
la maison haute
Cueillir
La certitude de la falaise
Matrice du soleil et de la lune
 

Ouvrir le volet chaque matin
Dans une lumière de chèvrefeuille
Poser à l’embrasure l’oblation d’un bonheur d’iris
 

une dimension quasi liturgique quand dans un même élan, paysage et corps s’originent et communient :

 

Le ciel descend s’unir à la vallée
Et c’est déploiement de soies éphémères
 

Le paysage s’insère en moi
Ses brumes        ses aspérités       ses vallées
Je me dissous comme cendres
Réunies à leur terre première

En communion et confiance, le poète s’en remet toute entière au lieu :

 

Ne pas posséder la terre mais être possédée par elle
Force qui me contient et m’habite à la fois
 

S’égarer dans les buis et les aubépines, est peut être une autre façon de chercher et de retrouver un mot oublié, une autre façon de vérifier que la solitude n’est pas seule.

 

Vagissement de l’invisible
qui vient poser au creux de l’omoplate
son museau tiède
 

Mais par intervalle, la vie appelle ailleurs. Il lui faut quitter cette terre matricielle :
 

Partir
Laisser un éclat d’âme collé
entre porte et chambranle
Fermer le portail qui grince
partir
 

Les vers qui scandent chaque départ sonnent comme un glas.

Le regard emporte un peu de la force tellurique de l’Asclier vers la maison basse pour insuffler au poète la vigueur protectrice dont elle se sent dépouillée à chaque départ.

Le lieu ingéré, intégré, absorbé par l’affect, sature les cellules. Il attend son heure pour réapparaître insidieusement ; odeur de mousse, caresse du vent, images imprimées dans l’obscure cavité de la mémoire qui fusent ou se dévoilent lentement comme sorties d’un long sommeil.

 

Le silence devient fermenté et humide
Odeur âcre de salpêtre
Effluves de mousses et de fougères
Transfusion de l’espace originaire
La maison haute
 

Bascule où les lieux coïncident
dans la luminescence des braises
 

Ubiquité du sacré 
 

Le poète nous a pris la main et nous avons cru la suivre sur un chemin d’exil.  Mais très vite nous avons compris que c’est la longue, incertaine mais nécessaire voie du détachement qu’elle avait choisi d’emprunter, que le reflet sous les paupières suffisait.

A la question posée,

Pourquoi quitter ce lieu
S’arracher à cet espace utérin
Où je me love depuis les commencements
 

la réponse immédiate :
 

La vie est exil
En permanente marche
Vers une éternelle naissance à soi-même
 

L’expérience de l'absolu une fois vécue permet d'être en tout lieu là où je devais être, à cet instant sans impatience...