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Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent

"Ils sont appuyés contre le ciel", ainsi commence le poème de René Guy Cadou, Les fusillés de Chateaubriant. Et je ne peux m'empêcher de rapprocher ce vers du titre du recueil de Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent. Au risque de me fourvoyer. Mais je ne résiste pas au plaisir de ces rapprochements insensés car le plaisir de la lecture réside dans cette mise en réseau… Mais pour insensés qu'ils soient, ces rapprochements peuvent être productifs. Faut-il rappeler que Le Fou d'Elsa d'Aragon débute par cet aveu : "Tout a commencé par une faute de français" ? Une faute relevée dans une collection de vieux journaux datant de la première moitié du XIXème siècle et qui est à l'origine d'une rêverie autour de Boabdil qu'on retrouvera, justement, dans Le Fou d'Elsa… Mais il faut revenir à Lionel Jung-Allégret et ses poèmes.

    Lionel Jung-Allégret a-t-il lu le poème de Cadou ? Je ne sais pas, lui seul pourrait répondre à la question. Mais que le rapprochement entre ce poème et le titre du recueil soit dû au hasard ou voulu clairement est significatif. La dimension cosmique, universelle qu'entend donner par ce premier vers Cadou à l'assassinat de ces résistants (communistes pour la plupart) se retrouve-t-elle dans les poèmes de Lionel Jung-Allégret ? "Je parle de nos vies qui roulent dans le sable de nos pas" (p 24) : ce fragment de vers fait écho involontairement au lieu où furent fusillés ceux de Chateaubriant, la Sablière…  "Je parle d'un jour qui me sépare de la mort et me sépare de la vie" (p 25) fait écho au moment où moururent ceux de Chateaubriant, tout aussi involontairement. Quels méandres emprunte la lecture ? Mais le propos de Lionel Jung-Allégret est tout autre : il ne parle pas de Résistants ou d'otages fusillés par les nazis ; il parle du rapport de l'homme au paysage, à la nature, à l'éternité qui nous dresse // et nous échappe (p 28). Ce propos n'est pas historique, il est métaphysique si l'on peut appeler métaphysique ce discours qui nous est dicté par la contemplation de la nature. Ou l'immersion dans cette dernière.

    Cet ensemble de poèmes (ou ce long poème) est une méditation sur la vie et sur la nature qui entoure l'auteur, une promenade au jour le jour avec les notations obligées : "Sur la route où je marche…" dit le poète. Qui ajoute : "Je regarde… Je suis seul à observer… Je cherche les signes…" C'est cette attention au paysage qui coïncide avec le  cours du temps qui donne naissance au poème. Mais ce n'est pas une simple mécanique ; le souvenir a sa place dans cette méditation : "Je me souviens des yeux ouverts et blancs de mon père…" Mais, si la mort est omniprésente, Lionel Jung-Allégert en tire une leçon philosophique, quasi-héraclitéenne : "Il n'y a que la route hâtive qui s'avance, que le sol  profond où s'enfonce le corps // d'où jamais ne revient le même corps".

    Un instant appuyé contre le vent clôt une trilogie commencée avec  Écorces et continuée avec Parallaxes apprend au lecteur la quatrième de couverture. Je regrette de n'avoir pas lu les deux précédents recueils…