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Lionel Ray, De ciel et d’ombres

 

Le poète se place devant le poème, le questionne, attend des réponses sur ce qui est autour de lui, l'alentour de l'homme, la géographie de l'être humain... et le dialogue se noue.

"Le monde est mon lieu, dit le poème"

Mais si le monde appartient au poème, quand donc est la place de l'homme, sa vie, sa mort ? et quand se situe le poème, de fait ?

"En moi, dit encore le poème / Il n'y a nulle différence entre la vie et la mort"

L'homme, le poète, se situe entre la vie et la mort, lui, à expérimenter ce qui s'écrira de l'une, de l'autre ; comme un chant intuitif qui trouvera du sens au fur et à mesure des tâtonnements de la langue, ou, plus simplement, une voix qui se posera le temps sur de l'encre, voire, parfois, un cri qui résonnera avec cent échos de lettres. L'homme peut crier, et le poème ?

"Je demeure dit enfin le poème / Au plus fort du silence"

Mais le silence du poème... est-ce la fin de tout ? le vide ? le creux ? ou la sécheresse après l'ivresse ? l’aridité après les larmes ?

"Ce n'est pas un miroir pour jeune fille, / Ni un alcool pour un soir de fête / Mais une prose qui ne connaît ni la pause ni la victoire"

Si l'homme ne s'arrête, même un instant, ni ne croit pouvoir chanter la victoire de ses combats ? Les mots peuvent sembler vains, comme des secousses pachydermiques qui disparaissent après le passage du troupeau.

"Les mots ne sont rien que dentelle obscure / Et nos pas sont lourds quelques fois"

Les mots ne vivraient-ils que tels des objets prétentieux, sciemment opaques, abscons pour le plaisir ; sans jamais chercher à signifier ? ou du moins, sans ne faire que dire l'évidence de la chose matérielle, pas le doute  de la chose spirituelle ?

"On peut aller jusqu'au bout du mot sommeil, au bout du mot fenêtre ou du mot regard mais il est impossible / d'aller au bout du mot temps parce que à l'intérieur du mot temps il y a l'éternité"

Le mot dépasse le poète, le mot dépasse le poème ? Va au delà du vivre ? Est plus que la vie ?

"Chaque mot / qui te ressemble / fait écho / à ta vie"

Il n'est question que de passé(s), d'instants abandonnés ou presque, de voix laissées de côté, dont la trace n'est que la souvenance du temps de vivre ? Jamais question d'un avenir, dans le poème ?

"Ce qui s'efface en toi / bientôt / te ressemblera"

Le poème se tient à la lisière des ans, peut se dire le poète ; il faut vivre, pour savoir que l'on a vécu ; il faut écrire pour savoir que l'on a vécu ?

"Cette mèche de cheveux gris / ah cette rouille des phrases ! / cheveux flambés et cheveux cendre / mémoire qui s'éparpille / ces teintes de fin novembre."

Pas d'âge, pas de vécu, mais cette intensité du moment ; voilà à quoi le poème s'accroche ? à ce que le poète sait couler de son sang, ce qui s'écoule mais ne peut sortir, ne fait qu'être vu, à peine, loin de l'éphémère de la parole ? comme de la précarité du chant du jour ?

"Les mots sont comme la main / ils se ferment ils s'ouvrent . mais quelques fois gorgés de vent / on les perd en chemin."

Le poète perd le poème à peine l'a-t-il écrit... une brise entre les tempes, une pensée banale, une vue commune... le poète n'est pas l'auteur du poème, mais son lecteur, parmi tant d'autres - anonyme ouvrier sans métier ? 

"Les mots sont pensés / comme on les prononce, / c'est un métier / comme de vivre / au plus près de soi."

Au plus près de lui, le poète est le poème qui est le lecteur. Pas de réponse, que des questions.