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Littérature et spiritualité en Bretagne

     La spiritualité serait-elle vraiment la plus importante « marque de fabrique » de la littérature bretonne ? La question, en tout cas, a été le fil conducteur d’un colloque organisé le 9 octobre 2010 à l’Université catholique de Rennes, et dont les actes sont aujourd’hui publiés.

         Dans ce colloque conçu par Jakeza Le Lay (docteur es-Lettres, ancienne enseignante à Rennes 2 et à l’IUFM), dix professeurs ou écrivains ont tenté de cerner, sur la base de leur expérience ou de leurs travaux personnels, la place tenue par la spiritualité au sein de la littérature bretonne. Il faut dire que les exemples ne manquent pas: de René de Chateaubriand à Xavier Grall, en passant par Félicité de Lamennais ou Max Jacob, sans oublier les poètes chrétiens de langue bretonne (Anjela Duval, Maodez Glanndour…).

    Ainsi à propos de Grall, Thierry Glon, maître de conférences à l’université de Nantes, a tenu à souligner la « quête métaphysique » incessante chez le poète de Bossulan, pour qui la Bretagne – passée ou à venir – prenait les traits d’un véritable Eden. « Pour enthousiasmer Bretagne et religion, Xavier Grall retrouve la tradition apologétique et invite à contempler la toute-puissance et la bonté de Dieu dans la splendeur du monde », note avec justesse Thierry Glon.

         Conforté par les riches contributions de ce colloque, Jakeza LeLay insiste – dans la préface à la publication de ces actes  – sur le rôle effectivement éminent de la spiritualité chez de très nombreux écrivains bretons. Elle l’explique par le poids historique de la religion et, surtout, par la spécificité de la spiritualité bretonne, marquée notamment par la proximité avec la nature (héritage du paganisme celtique), le commerce continu entre les vivants et les morts, la perméabilité entre le monde visible et le monde invisible… Autant de thèmes éminemment « poétiques » ou plus généralement littéraires.

     Ce qui permet à Jakeza Le Lay d’affirmer, à la suite de Louis Tiercelin (chef de file des Parnassiens bretons, auquel elle a consacré sa thèse de doctorat) que la spiritualité – bien avant la langue bretonne, car il y a bilinguisme en Bretagne – est un « paramètre essentiel de l’identité bretonne ». Ce dont témoigne, indubitablement, « l’importance de la quête spirituelle chez les écrivains bretons ». Y compris même chez Georges Perros, présenté, dans ce colloque par Jean Lavoué.

       Mais il y a, aujourd’hui, péril en la demeure. « C’est le souffle spirituel qui pousse le Breton à manifester son existence et sa différence. L’évolution de cette différence serait donc en danger s’il advenait un amoindrissement, une disparition de cette composante essentielle de l’identité bretonne la spiritualité », affirme Jakeza Le Lay. Avec des conséquences inévitables, selon elle, sur la littérature : « La corrélation entre l’acte d’écrire et quête spirituelle se montre si étroite en Bretagne que l’amoindrissement de la spiritualité pourrait nuire à la création littéraire ».

         On n’en est pas encore là, si l’on s’en tient  ce que redoute Jakeza Le Lay. Gilles Baudry, par exemple, le moine-poète de l’abbaye de Landévennec, est de ceux qui maintiennent haut le flambeau. Il apporte une forme de réponse à l’inquiétude qu’elle exprime en poursuivant son cheminement spirituel entre prière et poésie. « Poète, nous butinons dans les humbles choses de la vie les signes du Royaume. Eclats d’éternité, comme autant de pollens dispersés au souffle de l’Esprit ». Des propos tenus par le moine-poète lui-même devant l’auditoire du colloque rennais, en référence aux mots mêmes de Rilke : « Nous sommes les abeilles de l’univers, nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’invisible ».

     Une démarche à laquelle on peut rattacher, de près ou de loin, plusieurs auteurs bretons contemporains (Jean-Pierre Boulic, Job an Irien, Jean-Yves Quellec, Jean Lavoué, Nicole Laurent-Catrice, Christine Guénanten, Marcelle Picard, ou encore Marc Baron…), témoignant ainsi que le fil entre littérature et spiritualité – sous les différentes formes qu’il peut revêtir selon les auteurs -  n’est pas encore rompu.

 

Parmi les contributions bretonnes à ce colloque, signalons  également Edouard Guitton, professeur émérite de Rennes 2 (à propos de Chateaubriand) ;  Samuel Lair (enseignant à l’Institut catholique de Rennes (à propos de Villiers de l’Isle-Adam) ; Yann-Ber Piriou, professeur émérite de Rennes 2 (sur les « Mystères » du XVIe siècle) ;  Annaig Renault, ancienne secrétaire générale de l’Institut culturel de Bretagne, décédée depuis ce colloque où elle avait évoqué la figure du prêtre-poète bretonnant Louis Le Floc’h, connu sous le nom de Maodez Glanndour