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Marc Rombaut, L’écho d’un visage

 

Beau titre qui joint l’ouïe à la vue pour maintenir une vision au travers d’un souvenir dont nous pressentons qu’il ne s’éteindra pas. Par cette association du concret et de l’abstrait, flotte une mélancolie rehaussée par la forte sonorité du mot écho qui va s’amenuisant dans celle plus douce du mot visage. On ne perd jamais un visage aimé, mais nous nous perdons à le chercher au fond de la mémoire. Ce souvenir est réactivé par bribes, par associations qui apportent encore son lot de surprises. L’instant doit être propice et l’acuité avec laquelle nous cherchons ce souvenir provoque une perte de pesanteur. Nous avons besoin d’une matérialité aussi ténue soit-elle, un fil, peut-être, dans cette nuit sans fond à scruter l’immobile oubli des choses.

Ce souvenir, cette Absence, a quelque chose de sombre, d’irrémédiablement sombre. C’est une profonde écoute qui doit sortir de l’ombre, le côté noir qui doit prendre forme et peut-être qui ne se résout qu’en une voix, qu’au corps de la voix. Ce qui est fortement recherché aussi bien par le corps que par l’esprit prend les dimensions du monde au travers d’une nuit sans racine focalisée sur la voix.

Nous oscillons entre une présence-absence, entre un monde proche et lointain. Il s‘agit de la recherche d’un impossible, de quelque chose d’existant mais invisible, intouchable, présent mais où. Nous sommes contre une limite : perte du temps, perte de l’espace que nous ne pouvons plus nous approprier. S’en suit une approche, prononcer un seul mot : Nuage et cette absence, le temps d’un éclair, devient touchable. Tout retombe. Peut-être une chance, s’accrocher, pénétrer les éléments primordiaux, l’eau particulièrement :

 

Dans cet espace originel,
il s’appropriait le temps.

 

Revenir au présent par un détour lointain, une re-naissance, des rêves aux images horribles, décomposées : une fracture dont il ne reste suspendu qu’un visage sans corps. Surgissent alors des visions d’apocalypse, de fin et de début de monde mêlés pour que le visage apparaisse dans sa pureté, c’est-à-dire sa matérialité, son existence de jadis. Mourir à soi, mourir au monde pour entendre le chant fusionnel, pour retrouver l’Aimée. Et cependant :

Assis dans le vide, il regarde le temps.

Ce petit recueil est à double face un verso noir avec des lettres blanches, indications reproduites de la même manière au recto blanc avec des lettres noires. Pavé blanc, pavé noir… L’écho d’un visage, l’écho d’un autre visage, l’écho d’un autre monde plus discret et peut-être plus fort pour y exprimer force-sagesse-beauté dans la cohabitation des contraires acceptés.

L’écho d’un visage : la tentation d’exister malgré tout et contre tout. Et si ce visage passait par un détour qui n’est pas humain pour y revenir avec plus de détermination, plus d’amour aussi. L’écho d’un visage comme une volonté de rejoindre, de ne jamais abandonner quand la lumière brille au fond des ténèbres au-delà des vagissements du monde. Je ressens cette insaisissable présence comme un fil conducteur au travers du poème, remous où s’accrocher.

L’écho, le thème du retour, comme une résonance qui n’en finit pas, un son double dont l’origine hésite à se prendre, un son qui revient sur lui-même et n’arrête pas de mourir. « Ce que tu cherches, cela est proche et vient déjà à ta rencontre » nous dit Hölderlin. Ce qui fascine le plus est l’oubli du connu, les choses souvent simples se multiplient dans la mémoire pour y établir des correspondances. Poème de l’obsession,  qui ne se traverse pas, devenu cet infini impossible à saisir s’éloignant à mesure que nous le pénétrons. Poème mobile et figé à la fois comme une demeure où l’on ne peut tenir, comme un sol qui sans cesse se retire.

Le Visage pourrait-il être synonyme de vie, de l’intenable présence et seul objet de notre quête ? Inconfortable situation qui n’est qu’une pensée qui nous retient, et dans le même temps, ce qui s’offre se refuse. Belle démarche initiatique dans un labyrinthe : celui du monde et de soi inextricablement unis.

C’est à l’aube de son corps qu’il naquit autrefois.

 

Jean-Marie Corbusier a publié Georges Perros/Un pas en avant de la mort chez Recours au Poème éditeurs