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Meurent vite les étoiles, et deux autres poèmes

« Meurent vite les étoiles » et « Dans les brouillards lointains » sont extraits de l'excellente biographie que le regretté Jean-François Roger a consacrée à Gaston Criel (éditions L'Harmattan, 1998). Quant au troisième texte de ce petit florilège, il fut publié dans la revue « Cortex de nuit », que je co-animais avec Eric Tremellat, à l'occasion d'un numéro spécial ayant pour thème « L'invention du quotidien » (1989).
Jacques Lucchesi

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Meurent vite les étoiles

 

 

La fleur n'a pas dit son dernier mot
Que la couleur éclate en ciel terne.
On va vers les terres impossibles
Où pétales enveloppent le cœur.
Les roses, les lys, les lilas
prennent noms Piaf, Presley
Rimbaud, Baudelaire
Et n'oublions pas Genêt
Dont la tige émane de soufre.

 

Fleurs grandes et belles
Leur vie brève étonne par fulgurance.

 

Ils parlent ces pollens
Leur aurore pénètre dans le sang.

 

On entend la circulation
Mystère qui s'agite
Que le voile oblitère de son immanence.

 

L'enfant de l'homme
N'approche ni ne comprend
D'autant plus ravi
Qu'il interroge toujours
Sa soif d'étoiles.

 

 

 

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Dans les brouillards lointains inondés de soleil, un enfant devant une touffe d'herbe. La rosée sourd des racines incompréhensiblement. Le tremblement de méninges enfouies ne perce que le vague. Que va-t'il devenir des vagissements d'images qui emportent l'énigme de qui deviendra grand ? Qu'en est-il de l'homme qui se cache sous la jungle de l'infra-soi ? Les nerfs se tordent dans l'informulé. Il faut avancer. On recule. Le géant tire par la main, oblige à regagner le chemin qui s'inscrit dans le vide. Il y a marguerites, coquelicots et pâquerettes dans l'herbe humide qui fume sous le soleil. Lié, enchaîné à la tripe naissante clairvoyant un futur inconnu. On ne sait plus rien de la direction d'un pourquoi sans réponse, du printemps en hiver de l'homme noir qui plane à l'horizon de ces fantômes blancs qui glacent le sang de globules blancs.

 

 

 

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"Avec la poésie moderne un langage de création se substitue à un langage d'expression. L'essentiel de la poésie n'est plus dans son contenu ou sa prosodique, il est dans le langage même, qui tend à devenir fin en soi et création originale" 
Gaétan Picon

"Se tailler un langage dans le langage."
Jacques Audiberti

 

All right ! Combien de poètes transcendent le quotidien ? Peu ! Ils tressent des couronnes au coït, se réjouissent d'une bouffe, s'en vont rejoindre la plage sous les galets usés.

Pour l'invention du quotidien, je prends l'exemple d'Eluard :

« Tu te lèves l'eau se déplie »

Eluard recrée l'eau. Il n'en retranche ni n'en rajoute. Il invente. Le poète n'est pas le faussaire que l'on rencontre à chaque détour de page de revue.

J'ai cité Eluard. Il me venait directement à l'esprit. Mais il en est certainement d'autres que l'on ne connaît pas. Les connus sont fatigants. A moins de lumières dignes d'Eluard et Rimbaud, les inévitables revuistes rabâchent en se répétant. Où est la reconstruction ? On pleure la destruction de l'évidence poétique. Celle-là qui se place entre les mots. Combien les métaphores ont de difficultés à susciter l'envol d'Icare.

L’image poétique crée son horizon comme la pellicule suscite le cinéma…Ce qui doit être ; car ce qui doit être ne l’est pas toujours. Les faiseurs de guirlandes coiffent bien des mongoliens.

Néanmoins, étant handicapés, ces fleurs sans parfum ne les gênent pas. Le savoir-faire est d’exception. Les textes dont l’esthétique s’englue en des cadeaux douteux relèvent du gadget. Du surfait.

Faire vivre le balcon d’Eurydice de fleurs vigoureuses. Les roses en plastique ne sont pas de première fraîcheur…Au cimetière du langage s’il vous plait. Ouvrons la fenêtre d’Orphée.