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MONTAGNES

 

I

Il peut arriver
que nous ayons pour désir
de prononcer le mot : « âme »
comme par exemple quand
nous étions passés par ce village
de montagne si désert
que nous avions nommés « âmes »
ses habitants. Ou quand
invités à entrer
dans la maison aux fenêtres étroites
« âme » est le mot qui est venu sur nos lèvres.

Mot qui vient aussi
quand les chagrins
malgré la fatigue
tirent du sommeil
rappellent la parole :
« Mon âme est triste à en mourir. »

II

Comme une prière qui vient
quand meurent des animaux…

Présage ou symbole
dans ce wagon
du train de banlieue
cet oiseau captif
sautillant, inquiet
autant que les voyageurs
et qui parvint à s’échapper
s’engouffrant dans le souterrain
sans voir qu’au-dessus de sa tête
il y a la Seine, Paris ?
Non. Pourquoi alors
avoir croisé le même jour
aux confins de la campagne et de la banlieue
ce hérisson mort
tué dans la hâte des matins
dont le sang déjà attire
les mouches bourdonnantes ?

Plus loin sur la route
gisait la tête vers le ciel
cet autre oiseau
pigeon presque tourterelle.

« Guérison, naissance »

Mots imprononcés
de la prière commune
qui viennent maintenant
que tu marches parmi
les pierres grises, les fleurs.

Nos vies : comme la montagne
prise par le silence
le vent – dure et ruisselante.

III

Où se trouve ce chemin dans ce pays
si souvent arpenté ? Où ces pierres noires
étagées que couvrent par endroits
des ruisseaux ? La lumière est si douce
ici qu’elle ne peut venir que du rêve
si forte qu’elle a brisé tout sommeil.

IV

La lumière qui nous manque tant
ne peut être à la fois dedans et dehors.

L’enfant court pieds nus.
Par le sol comme par le ciel
tout l’été pénètre son corps.

Il aime quand il rentre la pénombre.

L’hiver – ne suffit-il pas d’un feu
pour y voir clair ?

Autour de la maison qui fut une ruine
le vent la nuit se lève, tempétueux
nous éveille faisant battre le volet
cesse dès que tombe la pluie
– violente mais douce.

Fragiles sont les éléments
quand on leur dresse des pièges

– grande dalle de verre, murs de béton :

Offenses faites à la lumière !

Le geste d’un peintre ou le pas d’un marcheur
simplement le souvenir affaibliront
peut-être cette force indiscrète qu’on exerce
sur ces prés où tu prends naissance, montagne.

Oubliera-t-on de refermer la barrière ?

 

V

Ce qui demeure
après tant d’herbes
de pierres, de fleurs
et de vents
de nuages, de neiges
et de cris des bêtes :

cette souche creuse
mais pleine d’une eau
comme celle d’un puits
où luit non tremble
une étoile – note brève
mais aiguë comme roche –
l’eau noire d’une montagne.