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Nouvelles Nouvelles de poésie (8). Confidences et bibliothèques idéales

 

D’Alain Absire à Frédérick Tristan, sous la houlette de « L’Atelier Imaginaire », ils sont 18 écrivains à se soumettre aux confidences d’origine qui expliquent comment ils en sont arrivés à devenir écrivains ou poètes. De surcroît, ils nous confient leur « bibliothèque idéale », celle qui les amena à rêver avec des mots pour le dire.

   Au fond, cet exercice « obligé »  réserve bien des surprises et des enseignements et il faut féliciter LE CASTOR ASTRAL pour l’initiative.  Comme l’écrit le premier préfacier de l’ouvrage Livres secrets, Guy Rouquet, le défi relevé par les auteurs sollicités « vivifie l’esprit et l’imaginaire de ceux qui, à l’instar de Rainer Maria Rilke, ont découvert soudain qu’ils ne pourraient pas vivre sans écrire ». De surprise en surprise, j’ai découvert quant à moi des auteurs que je croyais connaître, avec qui j’ai lié en un demi siècle des liens d’amitié, et qui me sont apparus pourtant comme des découvertes, des étrangers parfois même !

   Ainsi, avec grande émotion, sans l’ombre d’une mièvrerie, j’ai appris que Jean-Yves Reuzeau n’avait jamais vu son père  « tenir un livre dans ses mains. Jamais ». En effet, pour lui, ces objets « étaient totalement inutiles » (sic).  Ainsi, le milieu de son enfance fut à l’opposé du mien (ma famille prétendait représenter  une élite maurassienne !). Du trop et du pas assez peut naître cependant une vocation semblable. Ce constat est encourageant pour tous. Et quand l’adolescent Jean-Yves cédait à la boulimie de lecture et de musique électrique, et au charme de l’insoumis Boris Vian, j’apprenais à me révolter dans La nausée de Jean-Paul Sartre, déniché en cachette dans la bibliothèque de mon père Jean-Pierre Maxence qui fut l’un des premiers critiques nationalistes à saluer pourtant le talent immense du philosophe. Énigme des destins. Qui pouvait deviner que peu après 1968, après avoir été concurrent direct du Castor Astral en créant L’Athanor, l’humour de nos vies d’ « éditeur-découvreur » allait faire de Jean-Yves et de moi, mieux que des camarades de même combat poétique, des connivents regardant dans la même direction éditoriale, en quelque sorte ?

   Au surplus, en lisant Livres secrets, j’ai aimé particulièrement les souvenirs arabes d’Hubert Haddad, à l’heure de « Kit Carson », puis son achat des Fleurs du mal en édition de poche (alors qu’il avait quinze ans). En revanche, je me suis foutu d’apprendre que Jean Orizet maîtrisait l’espagnol et l’anglais, mais agréablement étonné par sa rencontre passionnée avec Borges  à son domicile de Buenos Aires. Côté femme, j’ai eu envie de lire Cécilia Dutter, après avoir pris connaissance de ses rapports avec son père de sang qui expliqua ses premières lectures édifiantes (la bible et les évangiles) et son obsession plus tardive de bâtir un pont entre Terre et Ciel. Enfin, j’ai rêvé debout en imaginant l’enfance de l’excellent poète Seyhmus Dagtekin revenu de son village du Kurdistan… Au fond, Livres secrets illustre par analogie la diversité des origines de nos scribes contemporains. Ce livre souligne avec grand bonheur qu’il n’y a pas de recettes pour faire naître une vocation d’écriture. Et puis, une fois refermé, il nous donne le désir de soumettre au jeu de questions quelque peu indiscrètes d’autres poètes absents ici. Ainsi, en lisant le tout dernier recueil du « Spinoziste » Jacques Viallebesset publié par Al Manar (Sous l’étoile de Giono),  je me suis interrogé sur le pays d’origine du poète. Devient-on chantre classique de la nature souveraine par apprentissage in situ ou a contrario ?

    Quoi qu’il en soit, l’enfance et l’adolescence d’un auteur  sont toujours des clefs de compréhension pour le contenu d’une œuvre. Nul ne peut mentir ou biaiser avec les tempêtes de sa famille d’origine. Alain Absire le dit fort bien, une « véritable géographie de territoires d’écriture » est « aussi variée que la carte du monde où les hommes vivent » ! Les désirs ne s’affirment qu’au fil du temps, sous la houle des révoltes primitives.