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Poesiarevelada

Créé et animé par Philippe Despeysses et Hervé Hette, ce site poétique affiche d'emblée sa vocation internationale avec un bandeau trilingue – français, anglais, portugais.

Le premier, qui se présente comme « écrivain-marcheur, poète et journaliste » vit depuis plus de dix ans à Lisbonne, et le second, photographe et graphiste, depuis 1994.

Je citerai le début de leur présentation, qui signe l'originalité de leur démarche : 

 

 

La Poésie s’est endormie dans les livres, les bibliothèques, les librairies, les universités,...

Aujourd’hui si un livre de Poésie se vend ne s’agit-t-il pas d’une sorte de petit miracle !?

Pourtant quand la Poésie est dite par les poétesses, les poètes, les unes et les autres, elle semble alors prendre une sorte d’envol et plus encore si des images, des sons ou des musiques l’accompagnent. 

 

Ce qu'ils proposent donc, c'est un site « ouvert à tous », en toutes les langues, présentant une sorte de « vitrine » vivante de la Poésie dépoussiérée. En quoi Recours au poème ne peut qu'adhérer, et soutenir l'initiative en vous invitant à visiter et alimenter cette source d'échange de poésie et de fraîcheur.

 

https://www.poesiarevelada.com

 

Liens possibles :

https://knu-slam.bandcamp.com/track/ma-mise-amore

https://knu-slam.bandcamp.com/track/ma-mise-amore

 

 




Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j’attends

Un titre qui interpelle. Se dessine une temporalité, "maintenant", mais avant ou après quoi, et un état de fait, "j'attends". Alors on imagine, et on regarde la couverture de ce recueil de Sabine Venaruzzo, où une femme rouge tout entière se tient debout dans une lande épaisse, gants de boxe aux mains. 

La réponse est à la fin du livre : le lecteur est invité à entrer, à franchir ce qui auparavant était l’intangible silence qui séparait l’auteur du destinataire fictif du texte. Grâce à un dispositif de QR code il est possible non seulement de prolonger l’immersion dans l’univers de la poète, mais, chose extraordinaire, de participer à l’élaboration d’une suite, d’un écho. Remarquable opportunité ouverture vers cet idéal de fraternité pour lequel existe la poésie en offrant un au-delà du langage, une libération des représentations, une plongée dans les universaux que nous portons tous. Ici le recueil prépare à ce qui clos et ouvre, à cette invitation à la réunion.

Le recueil se termine sur une adresse au lecteur "Notes de l'auteur à votre attention" :

Terminer ce recueil en le laissant ouvert à tous les possibles
Et maintenant, j'attends...
                                                     ...vos mots !
Ecrits, dessinés, photograhiés, filmés, dits, chantés !

 

Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j'attends, Editions de L'Aigrette, 2020, 102 pages, 15 €.

"Terminer ce recueil", qui ne se finit pas, parce que l'appel à la réunion est ce qui ouvre, à la fin des poèmes, après les quelques pages rouges dans lesquelles Sabine Venaruzzo exhorte au  rassemblement :

Poétons ensemble

Ecrivons le poème universel qui rassemble nos parts
d'humanité 
Naissantes et naïves, éclatées sous les bombes, rassemblées
dans la rue, calibrées espace vital, aimantes et sauvages,
arrêtées dans des camps, couchées réverbère, irradiées cellulaires.

...

Et maintenant. Avec toi. Notre attente contre toute atteinte est
en mouvement.

 

Ces pages rouges qui précèdent l'invitation à venir participer à l'élaboration d'une fraternité poétique entrent dans le regard, épousent la chair, empruntent la matière de nos âmes. Une couleur qui ponctue les pages du recueil, où quelques photos de la poète habillée et masquée de rouge, gants de boxe compris, prend des poses différentes, puis où le gant de boxe seul apparaît. Rouge, symbole de danger, et de combativité. Un combat qui est celui que Sabine Venaruzzo mène pour la paix.

Dans la première partie du recueil, les poèmes disent ce qui sépare, évoquent la violence qui règne sur cette planète, signe d’un échec patent de nos sociétés à élaborer un quotidien porteur d'épanouissement. Tant d’aberrations, tant de haine, tant de schémas cousus de peurs et de désagrégation, de violence et de geôles, sont énoncés. Comme on visite un édifice en péril la poète ouvre des portes qui dévoilent les espaces de tous ces échecs de l’humanité.

 

J'ai le cœur Bagdad

A Aya Mansour
Texte paru dans l'anthologie Rouges
aux éditions de l'Aigrette

Sur le chemin rouge des frères abattus
Des corps renaissent dans une herbe folle
Des silhouettes s'enlacent
Et s'entassent
Et s'aiment
Dans l'infinie racine du temps

 

Puis les pages rouges, présentes déjà dans les aplats de couleur qui ponctuent les photos. Il faut agir. Nous sommes invités à participer, à rejoindre nos frères humains. Là impossible de refermer le recueil, comme à chaque fois, comme cette sempiternelle cérémonie, fermer le livre, le poser, ému ou pas, ou de moins en moins, et reprendre le flux de la vie, inepte à force de pertes inouïes de toutes ces valeurs perdues dont la plus époustouflante est la fraternité, l’universalité de ce que peut et doit être l’humain.

Et enfin ce "lieu dans le livre" que sont les quelques page qui ferment Et maintenant j'attends. "Terminer ce recueil en vous faisant découvrir d'autres passages aux actes poétiques",   pour fermer l'ouverture, ou ouvrir la fermeture sur un horizon qui appelle un avenir commun édifié à partir de ceci, une communauté humaine enfin fraternelle. Des codes QR invitent à écouter les poèmes dits par l'artiste, et l'adresse de son site internet est là pour recueillir des propositions, des textes, des mots, des présences, des énergies prêtes à participer à l'élaboration de la suite, poétique, donc inscrite dans le quotidien, l'engagement, le désir de vivre autrement. Ce qu'est la poésie, en somme, et l'essence même de sa raison d'être.

Sabine Venaruzzo montre le seuil d’une possible unité entre les mots et le silence d’un imaginaire, celui de l’auteur lorsqu’il écrit pour cet indéfini lecteur, celui du lecteur lorsqu’il suit le poète et espère partager le souffle dans les mots. Elle  attend, maintenant, parce qu'elle le sait, c'est l’heure d’aller plus loin que pleurer ou s’indigner dans son coin, maintenant est le moment de la réunion de ceux qui son prêts à avancer vers demain. Ceci n’est pas un livre, c’est une porte, de même que "Ceci n'est pas une préface", très beau texte écrit par Marc Alexandre Oho Bambe dit Capitaine Alexandre qui ouvre le recueil, . "Pas une préface, mais une missive, ouverte" comme l'est ce recueil, jamais terminé, parce qu'il est ce seuil  d'un territoire humain nouveau, il est le signe du début de ce voyage vers notre unique pays qu'est la Terre.

"Poétons ensemble

Nous sommes tous faits de la même roche, de la même terre,
de mêmes cellules, de sang rouge.
Nous sommes tous inexorablement liés et reliés.
Ainsi sommes-nous.
Ainsi suis-je.
Ainsi es-tu.
Ainsi soit-il.
Amen.

Rouge est le visage masqué mais dessous est celui de la poésie, qui reprend contact avec ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, une porte ouverte vers la réunion des humains, vers la communion et le partage. Ce visage, nous sommes invités à le dessiner dans ce recueil, dont il faut saluer l'immense qualité, et pour lequel il faut remercier les éditions l'Aigrette, éditeur engagé qui continue malgré cette terrible période à porter la Poésie, et à rêver qu'elle sera le chant de la victoire d'une Babel écroulée.

Présentation de l’auteur




Jean Pierre Vidal, Passage des embellies suivi de Thanks

En poésie, tout commence bien souvent par une sensation de vertige, tant pour celui qui écrit que pour le lecteur.

C’est le cas ici. D’entrée de jeu, Jean Pierre Vidal nous met face aux figures de la vie passante. La sienne, la nôtre. Celle de toutes et tous. Car c’est bien le mystère du Temps qui cadence la prose habitée de l’auteur. Écrire, c’est peut-être chercher la brièveté, l’image immédiate et fulgurante, tout ce qui surgit dans la mémoire et les longues méditations solitaires. Pour dire toute l’étrangeté du monde, ses ténèbres mais aussi, et avant tout, la lumière indéfectible de la vie. Notre tâche est d’unifier le cœur nous dit Jean Pierre Vidal et il ne se trouve guère d’arguments pour lui donner tort. Les mots et les phrases s’efforcent de rassembler ce qui est épars, ce qui nous échappe à chaque instant et donc qui nous appartient. En dépit des noirceurs de l’existence, certains de nos jours sont à la hauteur de la Vie. De page en page, l’auteur nous emmène vers un au-delà qui est ici depuis toujours, entre les pierres dressées sur la lande, dans l’élan qui nous pousse vers la Beauté. Dans les gestes de l’amour et les désirs brûlants, le corps troublant des femmes et des jeunes filles, dans l’équilibre vivant dont on reçoit la liberté d’être. Par une sorte de lâcher-prise méditatif, Jean Pierre Vidal nous révèle qu’on peut être présent, parfois, à quelque chose qui n’existe pas encore.

Jean-Pierre Vidal, Passage des
embellies
sui de Thanks, Arfuyen,
2020, 13 €.

André Dhôtel et Philippe Jaccottet ne sont finalement jamais bien loin, dans une sorte d’émerveillement toujours à venir, une proximité charnelle avec les éléments, les nuages, l’absence, la solitude. Non par pure fantaisie mais pour donner du sens au visible et à l’invisible. Rendre au monde la part qui lui revient, l’ordre qui étouffe mais qui permet aussi, souffle court, notre respiration. Les poèmes de Thanks prolongent la quête et la résolvent en un apaisement, une certitude tranquille que quelque chose nous attend au bout de la route. L’amande de la lumière une nous aide à ne pas refermer le cœur et à veiller sur la durée de nos âmes. Tout est dit, écrit. Il reste à lire et à relire ce recueil comme un petit livre d’heures, une présence aux corps vivants, sans avidité, baigné par la lumière extrême du présent

Présentation de l’auteur




La poésie d’Hélène, une transmutation poétique

La poésie d’Hélène Cadou renverse la notion de temporalité, le passé, le présent et l’avenir sont un « temps unique » selon l’expression de Benoît Auffret. On pense alors à ce que Hélène a dit au poète Christian Bulting dans un entretien : « J’écris… contre le temps qui nous fige ».1

Ce rapport au temps a sa source dans la méditation et la contemplation qui nourrissent son écriture.

Comme les mystiques, les poètes et les peintres sont capables de figer le temps, chaque instant à goût d’éternité et comme pour les mystiques, l’absence est habitée.

C’est seulement au crépuscule de sa vie qu’elle ose témoigner de cette intimité de la Présence :

L’absence aura été cette chose que je n’ai jamais pu comprendre qui m’est demeurée comme étrangère. Jusqu’à la dernière minute, tu as été présence, tu as donné sens au monde… Il me suffit de fermer les yeux dans le silence, pour deviner, sous ma main, la chaleur de ton poignet, pour sentir en moi cette paix rassurée. 2

 

Hélène prolongera le dialogue que René Guy avait avec la nature, car elle ne cesse de l’y retrouver : « dans les glacis de l’hiver » au cœur du silence ou dans les « blés paisibles », le monde végétal est pour elle ressourcement. René le savait, elle est celle qui règne sur ce monde végétal où elle y vit à « cœur ouvert » malgré l’absence.

A « cœur ouvert », elle porte en elle René Guy, elle le porte en une maternité poétique tout autant que charnelle. René est l’enfant qu’elle n’a pas eu, la fécondité de sa poésie qu’elle a su partager avec lui de son vivant, fécondera sa propre poésie. Ce sentiment maternel s’exprimera dès 1958 dans le recueil Cantate des nuits intérieures ed Seghers comme nous le révèle ce poème :

 

Dors mon enfant paré de lys et de silence

Dors sur le grand vaisseau qui traverse le temps

La nuit est douce

Il rentre sous la lampe avec ton souvenir

Plus calme qu’un goéland

Dors mon petit enfant

…………………………….. 

Dors toi qui connus le malheur de vivre. 

 

Cette douleur de vivre qu’elle a côtoyée au plus près, est aussi douleur lumineuse, car « Dieu sur l’avenir allume l’espérance »3

Cette chambre de la douleur qu’a connue René, il la lui a léguée et elle en a fait une source lumineuse, une source vivifiante.

Hélène fidèle, fragile est cependant d’une grande force spirituelle. René est passé dans l’invisibilité, les mots d’Hélène constituent des ponts qui permettent le dialogue lumineux qu’elle ne cessera d’entretenir avec l’absent, avec l’invisible. Ils seront ces « deux êtres que le destin a éloignés à jamais l’un de l’autre et que le pouvoir du poème fait vivre dans le même espace intérieur » Gilles Baudry.

La poésie d’Hélène est une poésie de l’éveil spirituel qui a sa source dans cette force d’amour qui les a unis, en eux la certitude de se retrouver : « J’étais en René. Je parlais en lui, il parlait pour moi. » « René s’était tu, sa parole se transmuait en moi. Je voulais lui répondre. »

 

Je ferme

toutes les issues

mais au bas de l’escalier

un soir

où l’horloge

aura sonné

plus sourdement

ses douze coups

 

il sera là.

 

Sa poésie traduit comme tout ce qu'elle voit et vit, la présence de l’aimé. Les mots d’Hélène, les paysages, les lieux qu’elle décrit sont le reflet de cette âme qui n’a jamais cessé d’être en communion avec l’être aimé. L’espace temps se change en espace intérieur.

Elle sait qu’ils sont des messagers, des passeurs ; comme René Guy Cadou et avec lui, elle a su se mettre à l’écoute, elle a su être dans cet état de disponibilité nécessaire pour accueillir la parole poétique, cette parole essentielle car capable de transmuer, comme elle le dit: «  Certains faits, soudain, nous devenaient transparents, lorsque transmués par la poésie, ils réapparaissaient, sur la feuille blanche, comme voués à signifier pour tous ce qui nous avait été confié au passage, et qui, souvent, sur le champ, ne nous avait pas trouvé préparés. » 4

 

Notes

1) Revue Signe n°15-16 (p. 111)

2) C’était hier et c’est demain ed du Rocher (p.50-51)

3) Cantate des nuits intérieures ed  Seghers (p.78)

4) Revue Signe n° 15-16




Nathan Katz, La petite chambre qui donnait sur la potence

               Quand le poète Nathan Katz était prisonnier de guerre

Il fut le premier maître d’Eugène Guillevic et son initiateur à la poésie allemande, le poète alsacien Nathan Katz décédé à Mulhouse en 1981 à l’âge de 89 ans, a raconté dans son premier livre, publié en allemand alors qu’il avait 28 ans, son expérience de prisonnier de guerre en Russie et en France. Sous le titre Une petite chambre donnant sur la potence, il révèle l’amour de son pays natal mais aussi son profond humanisme. Ce livre est aujourd’hui, pour la première fois, publié en français.

Le destin du jeune Nathan Katz, né en 1892 dans le Sundgau à l’extrême sud de l’Alsace, fut celui de nombreux Alsaciens nés dans une région annexée par l’Allemagne après la guerre de 1870. Quand éclate la Grande guerre, le voilà donc enrôlé sous uniforme allemand, conduit sur le front russe où il est fait prisonnier en juin 1915 et interné jusqu’en août 1916 aux camps de Sergatsch et de Nijni-Novgorod.

Nathan Katz, La petite chambre qui
donnait sur la potence
, Arfuyen,
165 pages, 16 euros

« Le temps que nous passions au travail était assez long, raconte-t-il, nous commencions au lever du soleil et nous retournions à la maison lorsque l’astre avait roulé loin derrière les collines à l’ouest et qu’il commençait à faire nuit ». Il s’agissait de travaux des champs. « Nous liions des gerbes, nous rentrions les céréales ». Et il écrit ce poème : « Loin à la ronde se dressent les champs de blé mur !/Les robes des faucheuses sont un chatoiement de couleurs ! ».

Le jeune Nathan ne se plaint pas malgré les conditions spartiates de sa captivité. Il bénit le travail qu’il accomplit. Il compatit pour un compagnon malade. Il regarde avec affection les paysans russes. Il s’émerveille devant les beautés de la campagne. « Il n’est rien de plus paisible, de plus grand que l’automne sur la lande russe ! Lorsque jaunissent les feuilles et s’embrasent les forêts comme si une seule et même mer de flammes s’était déversée par-dessus la plaine (…) Les arbres qui se dressent là, sous le ciel cristallin, ont la solennité paisible de cierges sacrés dans un sanctuaire immaculé, majestueux, que surmonte une immense coupole bleu clair ». Cette beauté le ramène inlassablement à celle de sa terre natale (son « Heimat »). « Terre d’Alsace, pays de Sundgau ! Beau pré vert dans lequel on peut s’allonger comme un bienheureux, tout au cœur des fleurs ».

Nathan Katz, La Mélodie, par Jean-Noël Schàng Kempf.

Et, surtout, bien que prisonnier, Nathan Katz sait prendre du recul et cultiver sa propre liberté intérieure (comment ne pas penser ici à la jeune Etty Hillesum au camp de Westerbork). « J’aimerais bien savoir, écrit Nathan Katz, qui pourrait  m’interdire de me sentir libre ici, dans un camp de prisonniers, entouré de hauts murs, mais où le soleil brille dans la cour » et « dans une petite chambre qui donne sur une potence mais dont les murs regorgent de lumière et de clarté chaleureuse ». Plus loin, il note: « Je ne peux m’empêcher de rire à la vue de la potence. La bonne vieille potence !... Complètement ramollie par la chaude humidité, elle est recouverte de part en part de petites gouttelettes de pluies brillantes ».

Nathan Katz est rapatrié en France en septembre 1916. Il passera seize mois au camp de prisonniers de guerre de Saint-Rambert sur Loire et travaillera à Saint-Etienne dans une usine fabriquant du matériel de guerre. « Les nappes de brouillard s’empilent sur les toits gris/Des bâtiments encrassés de la forge/s’échappent, fatigués, les sons des marteaux qui s’espacent/C’est ainsi qu’autour des usines tombe la nuit ».

La paix revenue, Nathan Katz deviendra voyageur de commerce. « Mais jamais la poésie ne l’abandonne », note Yolande Siebert dans sa note biographique sur l’auteur. Il se déplacera donc beaucoup mais lors de séjours en Alsace, on le voit fréquenter un cercle réunissant à Altkirch, des jeunes écrivains et artistes. Parmi eux, un certain Eugène Guillevic, dont le père gendarme avait été nommé en Alsace. Les deux hommes sympathiseront et échangeront en alsacien.

Nathan Katz, Un mot aimable, un poème de Nathan Katz en alsacien, par Par Jean-Noël Schàng Kempf.

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, J’appelle depuis l’enfance

 (…) l’œil gris et paisible
Du Temps l’unique maître 

 

On entre comme on ouvre une porte dans cet univers personnel, apparemment si simple. Et pourtant, il vient une ombre quand on parcourt ces textes lumineux, l’ombre du texte qu’on aurait pu lire à leur place et, soudain, on s’aperçoit qu’elle, c’est lui, qu’il est en même temps ombre et lumière, ce qu’il évoque et ce qu’il creuse, ce qu’il chante et le silence qu’il permet.

Il y a tout d’abord dans ce recueil, dès la première lecture, ce don : ces poèmes aux musiques subtiles, simples et régulières comme des comptines d’enfant ouvrent à de la nuit.

 

J’écris pour surprendre
Celui que je suis

 

Gérard Bocholier, J'appelle
depuis l'enfance, 
 La Coopérative,
2020, 16 €.

 

Mais de quelle nuit s’agit-il ? Cette poésie narrative conte l’histoire d’une vie, avec beaucoup de force. Les trois parties, très clairement, dessinent trois moments d’une existence, une enfance rurale et sa dramaturgie à l’imparfait, dans « L’ENFANT DE SEPTEMBRE », une jeunesse turbulente et tourmentée dans la deuxième partie « QUI J’ETAIS » avant que les trente-trois poèmes composés tous de deux quatrains et écrits en heptasyllabes, « CHANTS POUR LA FIN » ne fassent rayonner un présent perpétuel. 

La poésie semble là pour border une angoisse, les octosyllabes, les heptasyllabes, les hexasyllabes, les quatrains, les tercets permettent de transfigurer celle-ci en « mètres simples » même si

 

Toujours hantés par l’énigme
Les mots ces volubilis
Ne tiendront pas sur l’échelle
Plantée dans la vase obscure.

 

C’est cette tension entre le silence et la poésie quand même qui donne à ce texte sa force, sa fragilité et son charme. On a envie de tourner les pages parce que, sans le dire explicitement, ces vignettes, ces anecdotes, ces tableaux et instants d’âme que sont ces poèmes montrent les étapes d’une histoire et en révèlent le parcours. La première partie, où l’imparfait est omniprésent et souligne une durée indéterminée pendant laquelle « Rien n’arrivait », se clôt sur la mort du père « 12 mai 1980 » ; la deuxième partie, elle, évoque magnifiquement mais avec quelle sensuelle et ardente pudeur les affres de la sexualité :

 

En rendez-vous avec moi-même
Bien plus qu’avec ces inconnus
Qui disparaissaient comme en rêve
Ai-je jamais su qui j’étais (…) 

 

 Elle aboutit, in extremis, à une conversion :

 

Mais soudain comme une grâce
Une libation de source
M’a délivré 

 

Dans la troisième partie, le poète, après avoir en vain cherché dans l’autre lui-même la solution de son énigme se tourne vers le Grand Autre ce qui donne à cet ensemble un caractère à la fois mystique, serein et solaire : 

 

J’engrange de l’invisible
Sans me douter qu’il est l’heure
D’aller vendanger la vigne
Où j’ai si peu travaillé 

 

La Grande Nuit de « la Fin » ne fait plus peur, même si elle est inéluctable. Il faut l’avoir traversée pour pouvoir, enfin, vivre l’aube.

 

Non la mort n’est pas l’absence
L’absence n’est pas la nuit
Hors du temps bruit le silence
Je bois ton aube infinie 

 

Voilà un texte qui rayonne d’humanité et de poésie.

Présentation de l’auteur




Anne Dujin, L’ombre des heures

C’est un trajet à accomplir à travers les heures, à travers la vie que nous propose cette série de cadrans composée par Anne Dujin.

La parole s’y trouve sans cesse interrogée, malgré l’épigraphe de Michel Foucault qui semblait affirmer une forme de confiance dans le langage : « …le poète est celui qui (…) retrouve les parentés enfouies des choses, leurs similitudes dispersées. […] ». Et de se retrouver, très vite, confrontée, heurtée aux limites de cette confiance, de la magie de la parole poétique face au réel plus brut, plus brutal, de bien des manières. Anne Dujin fait vibrer en nous cette oscillation entre doute et confiance vis-à-vis de la parole, position indispensable pour viser un langage poétique plus juste, plus vrai, plus propice à habiter le monde. Elle trace ici un chemin pour nous inviter à redécouvrir le sens des mots, la façon dont ils s’accordent au monde, dont ils dissonent aussi, peut-être, avec le temps, se désaccordent. Et ce sont souvent les mots des autres – en particulier ceux à qui ils manquent, ou qui ne les délivrent qu’avec une certaine rareté – qui révèlent la valeur du langage et permettent de retrouver confiance dans la parole poétique.

Anne Dujin, L’ombre des heures,  
L’herbe qui tremble, 2019.

Car c’est l’acte d’écrire même qui est une mise à l’épreuve de cette confiance, imposant une descente en soi, en son propre vécu, la confrontation avec ses « morceaux [de] miroir brisé », l’errance « dans le douloureux labyrinthe », la perte des repères que l’on croyait siens. 

Quelque chose se joue, dans ce recueil, entre surface et profondeur, dans le rapport de la poète à soi, dans son rapport au monde, et prend peu à peu forme d’ouverture. Ouverture du regard, avec toute la conscience de son lien avec les générations qui précèdent, et toute la liberté, la nouveauté offertes par celles qui suivent. Ces enfants que l’on porte et qui vivent auprès de nous ; et non loin d’eux, cet enfant que l’on a été ; celui dont le regard demeure en nous. Ouverture de la main, à ce qui est donné, à l’imprévu à recevoir au quotidien. Ouverture à ce qui, au-delà de la confiance, devient signe d’espérance : une lumière, un morceau de ciel, la perspective du « soleil silencieux de Pâques ». Une naissance possible.

 

Ce recueil a obtenu le Prix du premier recueil décerné par la Fondation pour la Poésie.

Présentation de l’auteur




Muriel Augry, Ne me dérêve pas

Poésie courte, fragments, toujours accompagnés d’images, c’est une constante des recueils de Muriel Augry. Celui-ci, Ne me dérêve pas, échappe d’autant moins à la règle qu’il s’agit d’une anthologie franco-roumaine traduite par Raluca Varlan Bondor, et illustrée des dessins de Dragos Petrascu.

Une anthologie par définition présente des extraits des publications de l’auteur concerné. Et ce qu’il y a d’intéressant avec cet exercice c’est que l’on peut suivre l’évolution d’une écriture, côtoyer les univers de l’artiste. Celui de Muriel Augry se laisse entrevoir d’autant plus facilement que des surtitres propres à cette publication présentent les titres de ses recueils publiés de 2010 à aujourd’hui. Des extraits présentés dans un ordre chronologique de : Exiluri, qui convoque des textes des lendemains turquoises  paru à Rabat aux éditions Marsam, Mosaïques, où l'on peut lire quelques poèmes tirés des Écailles du soir  paru chez L’Harmattan en 2012, Transparences, avec des poèmes d'Éclats de murmures en 2016, Échos,  un choix de poèmes des Instantanés d’une rive à l’autre en 1018, publiés à Tanger par Virgule Éditions, pour terminer avec Coulisses, qui regroupe quelques uns de ses derniers textes parus dans Les lignes de l’attente paru chez  Voix d’encre en 2020.

Muriel AUGRY, Ne me dérêve pas , Iasi, ed. Junimea, 2020.

Ces textes sont accompagnés d’illustrations de Dragos Petrascu, qui compte parmi les plus importants artistes roumains contemporains. Il « explore les latences infinies de la plasticité, en passant sans difficulté du dessin à la gravure, de l'art graphique aux installations complexes, tridimensionelles ». Rien d'étonnant alors que l'ensemble soit si profond, qu'une unité qui dévoile le silence retenu par le poème se révèle dans cette dynamique subtile, où tout est à la mesure des sillons d'encre noire des gravures où affleure la profondeur de nos existences, dans ces plongées parfois abyssale, parfois salvatrices, toujours restituées comme initiatiques. Tout est là dès le premier regard contenu dans ces juxtapositions en équilibre entre le blanc et le noir, le mot et la phrase, le son et le silence.

Dessin de Dragos Petrascu, Ne me dérêve pas, de Muriel Augry, Iasi, ed. Junimea, 2020.

Il fallait ces gravures près des poèmes de Muriel Augry, parce qu'elles renvoient un écho de la puissance de ce regard sur les jours et les nuits, un regard sans concession, mais sans faiblesse, et porteur d’une acuité féroce et douce, car on perçoit derrière chaque fragment cette femme qui sait, qui a marché longtemps dans des déserts de solitude, et qui a rencontré l’humain. 

Un lexique souvent soutenu, et une syntaxe recherchée, c’est ce qui constitue la poétique des vers de Muriel Augry. Nous n’avons pas pour autant une poésie précieuse ni hermétique. Ce dispositif confère juste une grande puissance aux images, car il côtoie un emploi plus courant de la langue. Le paysage est souvent prétexte à l’énonciation des états d’âme, comme chez les Romantiques. Les endroits du regard, les instants figés dans les sensations, et les états d’âme ne sont jamais prétextes à un épanchement lyrique suranné, ni à des envolées pesantes. Le ton est juste et la force de ce qui est écrit n’en est que plus prégnante. Ce qui s’offre alors est une

 

Symphonie des terres meurtries 
En quête de veillées blanchies 
Jouissances ubuesques
Les artères palpitent 
Dans les farandoles de la vie

 

Dessin de Dragos Petrascu, Ne me dérêve pas, Muriel Augry, Iasi, ed. Junimea, 2020.

La joie est incandescente tant le chagrin immense  qui la côtoie lui donne de puissance. La vie est perçue comme un Satori accueilli et vécu en conscience.

 

La saveur de l’absence 
Tu m’as appris le son des heures sans cadran

La saveur de l’absence
Lorsque l’océan scelle
Les épousailles du gris et du vert

Tu as couché sur un drap de pluie un cortège de sans nom
Écrit les frontières de l’oubli à l’ombre de Mozart

Tu as parcouru l’inaccessible jusqu’ à l’abri
Où nuit après jour se bâtissent nos errances

 

Mais il y a aussi la saveur de ces pays dans lesquels  a vécu l’autrice. Elle y voit l’homme, elle témoigne, elle  porte cette conscience politique si essentielle aujourd'hui.

 

Au pays des aveugles 
Le silence se drape d’un tissu de verre
Au pays des aveugles
Le cri est souffle de nuit

Arraché à l’ombre 
Il sillonne la scène 
L’emprisonne
La berce 
En gourmet

À genoux il est titan
À genoux il sonne l’audace

D’une main il effleure les cimes 
Renverse la mer

Dans la boîte noire une histoire se déplie
Une île colore ses falaises à l’abri de la mémoire
Et attend l’enfant près du laurier rose

 

Lorsqu'on l'interroge à propos du titre de cette anthologie, la poétesse répond "Ne me dérêve pas, un barbarisme, un clin d’ œil à l’enfance quand je me réfugiais dans mon monde de songes et ne souhaitais pas que les adultes m'en délogent... Un credo assumé à l’ âge adulte…" Muriel Augry séjourne toujours dans ce monde de songes et de rêves où elle nous emmène, entre l'univers de l'enfance et  le carcan rationnel des adultes, là où demeurent les Poètes.

 

Présentation de l’auteur




Il travaille dans la restauration

JACQUES ARAMBURU, MAISON -BUFFLE

On le sait maintenant, Jacques Aramburu est un autre. Celui que l'on prenait donc (et à juste titre puisque c'était indiqué dans sa biographie) pour un employé de restauration, est en réalité un être fictif. Une création d'un autre poète, mieux connu : Alain Breton1. Ces deux auteurs sont-ils pour autant si dissemblables ? Rien n'est moins sûr, considérant qu'Aramburu est le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle. Projection, écart, dissociation, quoi de plus légitime pour un créateur que de faire l'expérience d'un pseudonyme ? Et ce n'est pas comme si c'était la première fois que cela arrivait.

Elle m'avait plu, dès l'instant où j'ouvrais Maison-Buffle, cette biographie lapidaire, inhabituelle, chargée. Je me plaisais à imaginer Aramburu noircir les pages d'un cahier à la fin de son service, dans le bruit d'une cuisine qui se range et se nettoie. Immergé dans ses souvenirs, timide, seul. À penser à cette maison parfumée de cendres, qui « astique ses plâtres » et sur la poussière de laquelle « la pluie (y) tient / pour faire carrière. »

 

Jacques Aramburu, Maison-Buffle, CHEYNE EDITEUR, 1993

 

On entre comme un seul homme dans cette maison calme, pleine d'aimables fantômes, « (…) les petits peuples du miroir ». Ainsi on pense histoire de famille, et sans doute à raison puisqu'on sait désormais pour la grand-mère basque.

La maison est moins personnifiée qu'hantée. Du buffle, elle retient « les espaces libres. Une armoire qui respire à fond. ». Ce sont des voix qui montent des murs, « Ça danse et ça chante. Ça parle du renard qui est mort. » Maisons à toutes épreuves, je les passe en revue. Celles que j'ai habitées, même momentanément. Celles que j'ai visitées.

C'est là, semble-t-il, le premier objectif de Jacques/Alain : célébrer les âges à travers l'habitat, la datcha, familiale ou pas d'ailleurs. La grosse maison oubliée au fond du bois de nos souvenirs, comme un illumination première : Maison du creux, du peu. / O bel écho, lampe qui ne s'apaise, / échardes nouées, corne sèche. / Dire enfin la maison, / corolle son règne, / enclos à gréer gravats en verve. / Mais qui passe, qui s'installe,/ qui laisse sa langue au lavoir / et la lettre, et la pincée de sel ?

L'ouvrage est scindé en deux parties, inégales par leur taille, et la seconde révèle un dessein différent. On quitte la maison pour se réfugier dans son jardin. « Le pays au mille étés ». C'est toute une époque, comme on dit. C'est le souvenir du temps long, sous un soleil franc. Jamais un monde qui finit, un réquisitoire ou du buccolisme. C'est l'enfance avant tout, la découverte. On commence à comprendre que, pour l'auteur, ce sont les conditions d'une initiation poétique qu'il entreprend de nous conter dans ce livre. Si la maison enseigne, le jardin fait éclore la voix : Que faire d'autre que parler, / que se confondre dans l'été belle race, / que garder les bleus pour soi. / On titube dans un temps si long, / on répète comme son propre effacement, / on essaie de déborder de son ombre, / on entend décroître la Figure.

L'auteur l'affirme : « il n'y a pas de maison sans puits » L'eau coule sous nos pieds. Ainsi ancré depuis si longtemps dans l'esprit du poète, la subjectivité bat le souvenir. Tout est vrai comme dans un rêve. Que dire alors de cette « Nuit des genoux / nuit des torses », sinon qu'une ombre plane sur les corps endormis, l'ombre d'une rixe nocturne ? Au secours de ces visions oniriques, un langage court, ordinaire, et des rapprochements sémantiques subversifs. Mais le jour, ce sont de grands éclats : « pommes cueillies par un halo », « une femme fait un shampoing à la lumière », qui sous-entendent une photosynthèse à venir. Dans un autre livre2, c'est Jacques qui parle encore : « Parfois on jette des lueurs qui deviennent fleurs ou rocs (...) ». La lumière : active, qui imbibe le terreau luxuriant du souvenir.

Nous sommes ici à un carrefour, un moment-clé. Celui-là même où les destins d'Alain Breton et de Jacques Aramburu se séparent. L'un deviendra poète, écrivain ; l'autre, employé de restauration rattrapé par sa mémoire et forcé de prendre la plume pour évoquer avec la plus grande fraîcheur le dessillement qui fut le leur. Ainsi il nomme la première partie de son recueil : « La source qui a eu lieu ».

 

Notes

1.  http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Jacques_ARAMBURU-25-1-1-0-1.html
2. Jacques Aramburu, Le Chasseur de rivières, Poèmes pour grandir, Cheyne Editeur, 2004.

Présentation de l’auteur




Pierre Dhainaut, Une porte après l’autre après l’autre, suivi de Quatre éléments plus un

« Il y eut un ciel » /…/ « continuer… » Entre l’ouverture et la fermeture de son recueil, le poète Pierre Dhainaut retrace « une épreuve limite » qui l’a mené de l’absolue nudité à la ré-appartenance à soi-même et au monde.

Le titre dit assez le cheminement de reconquête, porte après porte, modeste et phénoménal à la fois, depuis la première suite intitulée « À la merci du cœur » jusqu’à la quatrième « Quatre éléments plus un ».

Tout débute en hiver sur un lit d’hôpital où le poète se retrouve nu, abandonné, survivant emprisonné en lui-même avec « Rien à quoi / s’accrocher dans / la poitrine le temps / a le temps / de tomber. » Seuls restent le souffle ténu, les battements du cœur fragile, la douleur. La poésie elle-même a déserté les lieux « sous le masque à oxygène », elle souffre d’« absence d’air ». Elle ne sauve de rien, juste laisse-t-elle le poète retourner à l’origine de toute parole.

Après la vie reliée à un cathéter vient le temps du lent réapprentissage qui passe en premier lieu par la reconquête des sens : l’ouïe, la vue… Les couleurs peu à peu reviennent au bord de « la marche du seuil si bleue ».

Pierre Dhainaut, Une porte après l’autre après l’autre, suivi de Quatre éléments plus un, éditions Faï fioc 2020, 76 pages, 10 euros.

Poèmes du souffle court, balbutié (quatre vers et peu de mots, cailloux posés pas à pas), la parole avec « l’embellie de mars » se redresse légèrement dans la deuxième suite « Verticale d’instants » (six vers au corps frêle qui essaient de tenir debout, le poème devant lui aussi « tenir bon »). Dès lors chaque détail de la vie minuscule devient vital : une pie qui sautille, un chat qui dort, un arbre, un lilas, un enfant qui joue, une épaule, il y a « tant de passages » vers l’unité retrouvée, vers cet « or qui coule » et revivifie les veines…

 

Les herbes,
les pierres
les nuages,
un seul
monde
à dire,
en croissance,
en gloire.

 

Priorité aux vibrations, à la libre résonance, les mots font leur retour petit à petit « sans savoir », comme le lilas du printemps qui par contagion colore la couverture du recueil. De la lettre au mot, du mot à la phrase, le langage patiemment se reconquiert et avec lui le « goût de l’énigme ». Chaque mot est à retracer dans ses courbes premières « comme à l’école». Le poète doit tout ré-apprendre, tout re-cartographier pour se sentir à nouveau  inclus dans un « nous » qui le relie au monde.

 

L’inconnu
commence
où vont les mouettes
à l’intérieur 
des terres.

 

Dans cette troisième suite « Lexique réinventé » (avec retour aux 5 vers), les mots sont vécus comme des particules d’énergie vitale, des quanta, aurait dit Guillevic, qui libèrent les « verrous », ouvrent le sens vers un horizon qui s’agrandit « à perte de vue » jusqu’au ciel, jusqu’à la mer.

 

Le livre,
la gorge, 
tout se dénoue,
la nuit se charge
du courant d’air.

 

Liens dénoués, souffle plus ample, place à la reconquête des quatre éléments : l’eau « à la proue de l’haleine », l’air qui « n’en aura jamais fini », le feu pour « le relais des paroles », la terre toujours « de connivence » et enfin ce « plus un » annoncé dans le titre : le poème qui conjugue à lui seul tous les sens, la poésie demeurant ce qu’elle est par essence, un souffle en suspens, conditionnelle comme tout arbre confié à l’avenir.

 

Nous publierions un poème
comme on plante un arbre
sur la berge d’un fleuve, nous aurions plusieurs vies
pour l’accomplir, toucher terre
dans l’élan, incarner, rayonner,
continuer…

 

« Le poème nous met au monde », écrivait Guillevic, puisse-t-il nous y remettre lorsque tout semble perdu. L’écriture de Pierre Dhainaut, de l’extrême point nu à la pleine transparence, rapporte avec délicatesse, justesse et précision une expérience fondatrice de renaissance, un passage où la poésie, goutte à goutte décantée, se donne aussi pure que la neige, aussi fragile qu’un rai de lumière, aussi forte qu’une attente.

Présentation de l’auteur