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Paroles à tous les vents, Boulic

Nous recevons par voie postale une toute petite enveloppe charmante, à peine plus grande que le timbre poste collé dessus, adressée par Yves Perrine, fondateur des éditons La Porte. Un petit livret signé Jean-Pierre Boulic, numéroté, et tiré à deux cents exemplaires. Un bel objet poétique, relié par une ficelle blanche fondue au blanc de la couverture.
L’objet est sobre, humble, et nous entrons avec délice dans ces Paroles à tous les vents. Cette Porte-là ouvre sur les souvenirs, associés au monde nocturne auquel la conscience peut aller puiser, comme le travail des paysans nocturnes, des paysans modernes fauchant leurs champs à la lumière des moissonneuses-batteuses. C’est donc à une plongée dans sa mémoire que nous convie Boulic, et les Paroles à tous vents qu’il prononce en lui-même au seuil de cette nuit ont la ferveur contemplative de quelque feu intérieur attisé par l’air alentour.

 

Les jours raccourcissent déjà
Le matin le mesure bien
Nuages cousus à l’étang
Et l’écorce des pins marins

Le temps donne aux arbres ses ordres
Comme il veut nous instruire ainsi
S’élèvent d’heureuses paroles
D’un petit troupeau de poèmes.

 

Ces paroles de Jean-Pierre Boulic sont celles d’un méditatif dans sa propre nuit. Il établit tranquillement un lien entre ses vues intimes et les paysages qui l’entourent, ceux de son Finistère avec ses plages, sa vase, ses barques, les étendues de terres agricoles. Ces paysages, le poète les a fait siens, et nous sommes moins dans une restitution photographique de l’environnement naturel breton que dans une poétique d’un paysage mental balisant la terre intérieure du poète. Terre de Bretagne, aux échos surnaturels propices aux signes du silence :

 

Et j’allais présomptueux
À la croix du carrefour
Se dépose ma faiblesse

 

Je m’appuie
Au lavis de son ombre
Et lui confie mon âme

Comme elle se prosterne
Sans effets de magie
J’entends une voix qui parle

 

Ces paroles de Boulic, qui sont en réalité des poèmes figeant l’éternité des souvenirs, ne rechignent pas à sortir de la contemplation pour asseoir discrètement un refus, un désaccord, une pointe qui file la métaphore en perdant le lecteur dans une polysémie aux multiples échos : « Le pays devient véhémence/ Il s’est prostitué » ; ou lorsqu’il chante les éoliennes : « Hochets de marchands ».

La tristesse est évoquée, avec pudeur, le souci des autres, l’absence d’amour, car le poème est le lieu pour recueillir l’absence de plainte et accueillir le cœur de ceux que tout a abandonné. Mais l’espérance est là, faite bannière : « Consens à la vie à l’endroit », et la race des poètes flotte aux vents car ils sont « Ces miraculés de la sagesse/Artisans de semailles et moissons ».
Un bien bel ouvrage, à glisser dans sa poche intérieure, pour les attentes du quotidien.