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Passage en revues : TLR (hiver 2014), NRF 608, Europe 1020

 

Le numéro d’hiver 2014 de TLR (The Literary Review) s’intéresse à The Tides, c'est-à-dire aux « marées », indiquant ceci sur sa couverture : « Because literature mimics the symmetry of nature, and because nature couldn’t care less ». On ne saurait mieux dire. Cela ne va évidemment pas sans humour, la photographie de couverture présentant un drôle de baigneur s’apprêtant à pénétrer dans un océan froid, palmes bleues aux pieds, caleçon de bain peu érotisé et bonnet jaune sur le crâne. Les gants noirs sont aussi du meilleur effet. C’est cependant à une fort belle plongée dans la littérature contemporaine à laquelle TLR nous invite, comme à chacune de ses parutions d’ailleurs. On gagnera, dans l’espace francophone, à lire cette importante revue, parmi les plus intéressantes des espaces anglophones. TLR en est a sa 57e année. Cela compte. La revue propose toujours un sommaire comportant des fictions, de la poésie et des essais. La poésie est ce qui nous intéresse particulièrement ici. On lira donc dans ce volume des poèmes de Clay Matthews, Eric Paul, Bethany Goch, Amy Meng, Diane Mehta, dont j’avais déjà apprécié les textes parus dans The Believer et dans AGNI, Jesse Nathan, présent aussi dans The Nation, Adam Scheffler, Stephen Massimilla, Matt Rasmussen, Scott Withiam, Daniel Wolff et Terrance Owens. La revue est aussi ouverte aux voix extérieures, internationales, et propose en ce numéro des textes poétiques de la roumaine Ana Blandiana, du coréen Kim Kyung Ju et du français Matthieu Baumier. Outre le bel ensemble de ce dernier, que nos lecteurs connaissent bien, mon regard a été particulièrement attiré par les textes d’Ana Blandiana, laquelle figure au rang des principaux écrivains roumains contemporains, Amy Meng, Jesse Nathan ou Scott Withiam, liste non exhaustive. Tout cela est vraiment passionnant.

 

TLR The Literary Review. Editor : Mina Proctor Fairlegh Dickinson University. 285 Madison Avenue Madison, NJ 07940 United States Site internet : http://www.theliteraryreview.org/ info@theliteraryreview.org Abonnement international : 36 dollars

 

On s’habitue assez bien à cette NRF modernisée, avec sa couverture élancée, oserais-je dire féminine ?, rajeunie. De la tête aux pieds, d’une certaine manière. Il y a toujours beaucoup à « glaner » dans un numéro de la NRF, même si l’on est pas obligée d’être en accord avec certaines visions du monde aux prétentions poétiques. Ainsi, Nathalie Quintane qui – pensant certainement au best seller de Catherine Millet – donne un long texte. L’histoire d’O, ici, fait plouf.

Le numéro, c’est heureux, comporte aussi de belles choses. La thématique est ainsi justifiée par Stéphane Audeguy : « Il nous a semblé intéressant, en ce temps qui nous promet et nous prodigue toutes sortes de dématérialisations, parmi lesquelles celle du livre, d’examiner comment, aujourd’hui, le corps se dit et se vit, se pense et se sent, en littérature » (…) Plus avant, Audeguy indique qu’il ne croit guère à la « parousie » du virtuel, « qu’on nous promet depuis quelques dizaines d’années maintenant », dit-il ; bien… Notons simplement qu’internet s’est installé en France réellement… vers l’an 2000 et que la plupart d’entre nous n’avions pas d’ordinateur il y a une douzaine d’années… Et maintenant ? Aussi, que le livre numérique se vend autant que le livre papier dans l’espace anglo-saxon. Et puis, pourquoi cette crainte des évolutions de la modernité ? Cette réaction devant ce qui bouge ? Nous n’avons pas peur du virtuel mécanique, lequel n’est rien comparativement à ce virtuel en forme de simulacre spectaculaire dans lequel l’homme semble plonger progressivement. Il est possible que, vu de cœur de Paris, et des bureaux d’éditeurs historiques, on ne s’aperçoive pas encore clairement de ce qui est en train de se produire. Nos vies se numérisent. Bien… Et alors ? Autrefois, elles ont rencontré le feu, puis le papier, puis… la vapeur et l’acier ? Et alors… Cela a transformé les corps. C’est exact. Nous sommes encore là pour en discuter, et certains romans comportent un @ jusque dans leur titre. Et la NRF paraît encore. Et sans doute est-elle toujours un peu lue. D’ailleurs, dans ce numéro, on lira, si l’on veut, Philippe Claudel (deux beaux textes), Brigitte Giraud ou Arno Bertina. Mais aussi la préface d’Antoine Compagnon à l’anthologie La Grande Guerre des écrivains et la poésie de Velter, ce qui donnera l’envie d’aller lire ses deux derniers opus parus chez le même éditeur.

On s’est habitué à cette NRF modernisée, et vivante ; le lecteur habitué, justement, attend sans doute un élargissement des préoccupations et des cercles.

 

La Nouvelle Revue Française, 608, De la tête aux pieds, sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest, Gallimard, février 2014, 22 euros.

 

 

Le numéro d’avril 2014 de la revue Europe est centré sur la silhouette de Julio Cortàzar, sous la direction d’Anne Picard. Cortazàr aurait eu cent ans l’été prochain, il est mort il y a une trentaine d’années. Anne Picard : « En consacrant un cahier à Cortàzar, la revue Europe a choisi de distinguer l’œuvre d’un écrivain protéiforme et inventif, à la fois Merlin et Phileas Fogg, qui a su regarder autrement le monde et ses rudesses », précisant plus loin que le lieu n’est pas celui de louanges mais « plutôt de frayer un chemin vers la douce magie des livres de ce géant rieur et grave ». Et, en effet, c’est cela qui ressort du dossier : l’envie d’aller vers Cortàzar. Pari tenu, pour un cahier fort de plus de 230 pages, d’ors et déjà lieu référent, comportant en outre de nombreuses pages de l’écrivain lui-même. Concernant ce qui nous intéresse directement, en ces pages, j’insiste sur les poèmes de Cortàzar donnés ici à lire, issus des œuvres complètes, poèmes ayant la particularité d’avoir d’abord été écrits en français, puis traduits en espagnol par Cortàzar lui-même. Des extraits aussi (« Photomaton du poète) issus du livre/dialogue de Cortàzar avec Keats. Impossible évidemment, comme souvent avec la revue Europe, de tout citer tant ce cahier est riche : cependant, le texte de l’écrivain, « L’alchimie toujours », qui nous parle au plus haut point au sein de la rédaction de Recours au Poème,  et puis les lignes d’Alejandra Pizarnik au sujet de son « compatriote » (« Humour et poésie dans Cronopes et Fameux »). Sur Pizarnik, on lira par ailleurs avec bonheur le recueil de textes de César Aira qui vient d’être traduit en français (César Aira, Alejandra Pizarnik : un pur métier de poète, Corlevour, 2014) dont nous rendrons prochainement compte dans les pages critiques de la revue.

Le second dossier du numéro 1020 de la revue Europe (92 ans, tout de même !) est consacré à Antonio Gamoneda, figure essentielle de la poésie espagnole contemporaine, voix alchimique elle aussi, plongeant au plus profond de la racine de ce chant qui est et qui fait l’homme. Simultanément. Un beau cadeau que ce dossier accompagnant celui consacré à Cortàzar. Laurence Breysse-Chanet et Jean-Baptiste Para évoquent, en ouverture, les « sons noirs, sons blancs » de l’œuvre de Gamoneda : « Lire Antonio Gamoneda, c’est sentir des forces enfouies confluer vers la lumière d’une inexplicable libération, dans un silence qui nous empoigne et d’où monte une voix grave, intense et nue ». Oui, c’est exactement cela la poésie de Gamoneda. Cette libération intérieure. Cette fraternité dans la poésie. Viennent ensuite des entretiens passionnants (avec Gamoneda, avec Laurence Breysse-Chanet),  un poème grandiose de Gamoneda placé « Entre l’acier et l’effroi », sept poèmes de « Chanson de l’erreur », traduits par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, un essai de Miguel Casado sur le mythe dans la poésie de Gamoneda, et enfin de très beaux textes de Jean-Yves Bériou dédicacés au poète espagnol.

Riche, très riche numéro de la revue Europe.

 

EUROPE, ce n° 1020 : 380 pages, 20 €. Abonnement un an (8 n°) : 75 €. Commande et abonnement : 4, rue Marie-Rose. 75014 PARIS.