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Passant le pont qui s’effondre

 

Passant le pont qui s’effondre et puis fendille les tourbillons gelés des rivières quand il n’y aurait plus que les ronces des berges comme filets pour les retenir, et fuyant le cordeau des pas, ivre sans doute et incurvée encore comme si c’était tout le poids des jours qui s’abattait sur elle, la silhouette pilée de la Beauce sous le bât du soir qui tombe lui aussi et se brise aux faîtières, se peut-il qu’elle se prenne aux lacets de lumière projetant son ombre aux façades des tavernes, des bars où, de nouveau, elle prend place fuyant la rue ventée, la cohorte des nuages qui s’étirent avant la venue de la pluie et les abords terraqués des rivières et les babils de l’Eure qui s’égosille? Là où elle se tient, ses yeux glissent sur une carte postale rampant jusqu’aux sommets enneigés des montagnes traversant les forêts autant que les murs puis ceignent la trappe des greniers pour la nuit passeuse de mémoire et d’alto, là même où se répercutent les pas de sa jeune silhouette de musicienne, sa voix se mue et c’est tout son visage, son corps qui se revêt des sourires de l’enfance, remontant  le cours des saisons, est-ce ainsi le temps, le temps qui trempe dans le verre de l’ennui et puis s’engoue du souvenir comme de l’angoisse, tendant ses rets, des journées à la fenêtre à regarder passer les trains et puis les bus et les feuilletons de l’après-midi, avec le soir le détour par le cimetière, son inlassable porte rouillée et les jardins publics à la tombée de la nuit, des pigeons picorent la lumière à ses pieds ? Et longtemps, n’y aura-t-il d’autres hivers que ceux-là, à ne rien attendre de son lot que le décompte sommaire des jours, quelque chose qui se taira au loin ou non l’anthrax gibbeux de la lune, une dernière fois ? 

 

                                                                           Chartres, 30 novembre 2007 – 1er mai 2 008

 

Extrait d’Usage des cendres précédé de Feuillets du midi (Chartres, Lisbonne, Venise), Le Préau des collines, 2010