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Patrick Tafani, La Route blanche

   Cinq roses sur le sommeil de l’enfant, les jeux sont de pierres rondes et la patience de l’écolier cligne des yeux. Le sol est si dur que la bêche se résigne à brûler son manche, le soleil mourra bâillonné.

  Silex, le sang est d’améthyste, le feuillage y plonge ses racines, la terre est rouge, le noir s’en est allé.

   Le froid se repose dans la chambre, c’est un fer qui attaque le mur, le lézarde, le sépare de ses chairs. La chambre est un territoire tenu au secret, une guerre entre chiens et loups.

   Au dehors un feu de grives crépite dans le ciel, les grands chênes de la nuit descendent des collines, l’enfant écoute la rêverie des étoiles, les pléiades données à l’invisible. Lanières aux poignets, un diable disperse l’incendie, c’est l’approche du canal, la roselière frissonne et murmure une mémoire amoureuse, la route blanche est tracée.

 

 

LE  JAUNE  INTRANQUILLE

 

   Le jaune intranquille monte de la terre dans un silence de ciel bouleversé comme abusé par l’ombre sans fin des grands cyprès. Le jour s’est replié à l’intérieur des murailles, l’inquiétude se porte sur la nuit qui ne vient pas.

   La Cité bleue et sa légende parcourent les siècles comme on parcourt une allée d’ormes virides. Le chemin au bord de la rivière, la rivière au bord du chemin, deux miroirs d’éclipse et de mort, les pensées s’envolent et retombent, au-dehors le jaune est intranquille.

   Le pays est un séjour, l’oreille est coupée, les oiseaux bourdonnent, ce sont des champs, des fleurs, un berceau de campaniles à l’heure où le cœur s’arrête, brutal, infini, le jaune est intranquille.

   Un piano dans un nuage, ils descendent le fleuve pour l’azur et l’effroi, à l’oblique sur ce vertigineux dénouement, les feuilles sont d’automne.

   Des tables d’allégeance, femmes merveilleuses du piémont, un châle blanc sur le vert de l’aubépine, une tristesse écoutée, lourdes portes refermées, une clé sous la pierre, le jaune est intranquille.

 

NOIR  D’INOUÏS

 

   Un regard bien trop sombre comme tous les regards qui osent le blanc de Gethsémani. Des épopées en cordage de vent cinglent pour des futurs boursouflés. C’est le cœur du dénombrement, l’affûtage du marteau-priseur, ce sont des robes que tu portais avant l’épiphanie du monde, les clartés, les forêts, ce que l’oiseau voit et ennuage sans se parer d’ordre et de sainteté. Flammes tournées à la droite de l’homme, vase dans le recueillement du feu, la supplique mélange les poisons, pièces frappées d’or et de fer. Troc patiemment épris des colisées du ciel comme avant le retour des guerriers, le retour d’un bois précieux sur l’écorce du cerisier. Je pense à ta souffrance heureuse, aux longues tiges qui enserrent le lierre, l’instant d’éternité  coulé dans la pierre. Rouge sommeillant à l’encre du livre, ce peuple trésor longeant la rive sans rivage, sous le préau la trace noire, le pas sifflant de l’enfant né. C’est une blessure que l’épervier a oubliée dans la capitale de la chute. Il est temps de se toucher les tempes, le cuir émousse la lame du couteau, le clou dans la main est un clou de ferrure, fermez les portes puisque l’habitude regimbe à s’émouvoir ! Le lit du mort s’avance dans la mer, tous ses regrets font naufrage. J’ai dans la bouche une salive d’ambroisie.

 

PLI  DES  SERINGAS  VERTS

 

   Ce pli de lumière et ces seringas verts absents de toutes éclosions, demain l’ébruitement de la cordelette d’or, les épices reconnues dans la fente des maisons, le regard et sa transparence d’eau vive qui s’éloignent d’une obscurité de neige, le village est ainsi, au mur d’os ce sang qui se passionne pour les trous du labyrinthe murés. Le faste peuplé d’insectes, de multiples taches de couleur, le noir odorant des mains meurtrières, sous l’assiette le soleil y dépose sa mémoire, ce lourd fardeau de partance, cet embrasement criard avec l’ivoire du langage appris sur le versant des ronces. Crête de l’oiseau sur la plaie de l’arbre, le bouleau vieillit sous une croûte noire, un déchirement d’étoffes blanches où se penchent les étoiles curieuses, les longues fileuses de vie. Mais l’enfance et ce pli de lumière, ce nœud qui se hasarde à dénouer le cœur et l’épaule, cette trace toujours prête à démentir le crime, la chambre obscure et l’obscur de la chambre, ces attablés que le rêve bâillonne de somnolence, l’étoile arrêtée dans son cycle d’explosions, la vitesse pour parcourir deux vies en une seule mort, ces seringas verts absents de toutes éclosions. Un parfum.

 

DE  DIRE  LE  VISAGE

 

  Des tristesses dans la césure des mots, ce qui appartient au temps danse sur des lambeaux de fleurs, aurore de l’entre-deux c’est patience de dire le visage clair des combes, ce mal qui sans initiale et d’une tête d’épingle parcourt le tracé de l’univers.

   Ciel jusqu’aux carreaux de la chambre, le lit du jour perdure pendant la nuit, le plus surprenant lorsque s’arriment les cordes sur les pontons sifflants, la lourde porte ne se referme pas et laisse l’eau monter à l’essor.

   Les fontaines sont les années qui t’obsèdent, celles qui lissent le temps sur le commun des pierres. Commencent le piège des yeux, la moiteur des corps sous les blés qui se penchent, le déplié de l’aurore, la lampe irréprochable qui s’enfonce dans la terre, l’adieu qui ne s’éloigne que d’un pas, l’écharpe se dénouant de l’aile des oiseaux.

Présentation de l’auteur

Patrick Tafani

Il est l’auteur de L’apparition et de Mon ombre ici gravée, (Éditions Encres Vives, 2018-2019) où il aborde les œuvres d’Anna Akhmatova et d’Ossip Mandelstam. Publication dans la collection Encres Blanches, dirigée par Michel Cosem, de L’homme des constellations : Qu’il revienne celui dont le nom s’est effacé sans laisser la moindre trace, parmi les heures, les années, parmi ce souffle désiré, ce tremblé de feuillages où s’écoule l’inespéré de la terre. Il écrit régulièrement sur son blog photographique : parelie.over-blog.com.

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