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Personnages habitant l’air libre

   

               

                                  Le corps se parle, la vie se rêve.

 

 

 

Je ne sais trop comment cela a commencé, mais je compris un matin que je pratiquais l’art sans fard, l’art des innocents, l’art du récupérateur. L’art du peintre délabyrinthé. L’art du pauvre. Je mis des taches de rouge et d’ocre ici et là sur le papier. Puis les visages vinrent me héler.

 

Leurs questions, ils me les posaient  du profond. Ils risquaient de mourir à chaque instant Ils finirent par m’observer avec étonnement.

 J’aimais leur spontanéité naturelle, leur incognito. J’aimais leurs cris singuliers, leurs corps brisés en morceaux.

 

 

Mon corps est un trou. Un œil. Une serrure. Tout commence en moi.

Le ciel, les étoiles.

 

Les passagers du prochain train pour Paris. L’illumination déjà ancienne de la nuit noire. Je marche au bord du ruisseau.

La roue châtrée est venue du soleil vieillissant.

 

 

 Qu’est-ce que je fais ?

Je marche. Je marche vers un monde meilleur. Vous m’observez ? Je marche.  « Chez moi, comme l’écrit Michaux, on ne va pas vers le riche. »

Oiseaux, mes rêves d’enfant, secourez-moi de vos ailes. La nature est mon domaine, mon pauvre triomphe. Je m’abandonne au vent.

 

 

 

Peintures. Quand je commence à peindre, il apparaît souvent sur ma feuille de canson une tête éclatée, rognée… Allez savoir pourquoi ! C’est peut-être parce que tout va mal.

Clown au paysage désolé. Visage de l’arbre aux oiseaux. Le corps humain constitue un secret : il ne cesse sous le pinceau de se libérer.

 

 

                   

 

L’exclusion des autres, on ne peut pas la dessiner. Ils sont derrière le buisson de feu à nous regarder. Ils nous disent qu’ils ont livré bataille contre la solitude. Aujourd’hui ils n’en peuvent plus. Ils acceptent que personne ne les voie, que personne ne les entende. Ils ont un sentiment de vie mêlé à l’effroi de la mort.

 

Je suis un homme qui cherche ses personnages à l’endroit où personne ne les voit. Déjà, enfant, je trouvais des visages dans les pierres des murs, des oreilles dans les souches de vigne. Petit Pan était un galet rond, aux yeux creusés par les pluies. Mes personnages, je les appelais,

   

 

je les nommais. Rose de novembre, Machicoulis la Pensée, Grosse courge ou Tam-tam l’Indien… Oui, oui, me disaient-ils, quand tu grandiras, tu fouleras au pied tous ces idéaux de pacotille… Devant toi, tu n’auras que le silence. Et tandis qu’ils me parlaient, je me plongeais dans les délices du rêve.

 

Il m’arrive souvent de chercher des boites de conserves écrasées par les voitures. Celle-ci brillait sur la terre battue du parking. Je pensais à la bouche d’un homme qui s’ouvre. Je lui dis :

-Parle ! Mais parle donc !

Mais personne ne me répondit et je continuai ma quête passionnante des visages.

 

Mes personnages ont souvent des visages grimaçants. Je fais les ombres à la chicorée d’un doigt qui glisse sur le papier.  Puis j’essaie de tirer sur leurs traits. L’eau donne naissance à des foules infinies. Moi, œil, nez, bouche. Dessine. Griffonne. Il apparaît ton visage. Lentement, de ce côté, sur le papier.

  

 

C’est moi. Je joue avec le matin. J’ai escamoté la blancheur de mes mains. Je suis distrait ? Vous avez vu juste ! Je regarde si les Scabouns sont toujours dehors. Ils ne m’aiment pas. Ils me trouvent trop rigide. Ils préfèrent applaudir le cavalier qui passe. Trop haut pour moi ce cheval flambé de soleil.