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Petites notes d’amertume (1)

 

 

L’accumulation des connaissances peut rendre  le monde incompréhensible, car il nous manque l’aptitude à leur donner sens.

 

On prie quand on ne peut plus penser.

 

L’art actuel fonctionne en circuit fermé, sans pensée sur le monde. Il n’est plus fondé que par un discours sur lui-même et sur l’opportunisme qui élève le scandale au rang d’œuvre.

 

Deux tableaux, en apparence mêmes couleurs, même geste technique, même organisation de l’espace. Pourtant dans l’un, quelque chose vibre et nous happe, nous habite, quand l’autre n’est qu’une composition laborieuse et muette. C’est cette captation à l’œuvre de l’œil et de l’émotion qui donne sens à   l’art.

 

L’art est la matérialisation de notre besoin de sacré.

 

La volonté de choquer, très à la mode aujourd’hui, que l’on retrouve aussi bien en poésie que dans tous les arts, est le pendant de l’idolâtrie d’une adolescence qui perdure. Il y a là une complaisance nombriliste qui fait peur.

 

Toute juxtaposition hétéroclite et aléatoire ne relève plus de nos jours du Surréalisme, mais d’un exercice vain et futile, à visée décorative. D’ailleurs du Surréalisme les exécutants  de ce pénible fatras  connaissent à peine le nom.

 

Devant le Centre des Arts Vivants du quartier de la Bastille à Paris, je m’interroge sur le pléonasme de l’appellation.

 

Toutes les époques ont eu leur art officiel, qui a disparu sans trace, mais pas sans descendance, puisque la nôtre a aussi son art pompier, ses bouffons et ses poètes en cour.

 

« Ils se croient poètes, ils ne sont qu’écrivains » écrit Jimmy Gladiator. Je renchéris  volontiers : ils ne sont au mieux qu’écrivains, au pire des imposteurs.

 

Il est symptomatique que notre époque préfère les livres anodins, sans mystère,  et leur glu de banalités travestis en jeux de langage et grimaces mondaines. Porteurs d’oubli, ils agissent comme un efficace somnifère.

 

Seules comptent à présent l’efficacité et la rapidité. Nous vivons culturellement dans un temps attaché à l’immédiat et au refus ludique de la mémoire. C’est pourquoi notre époque n’est pas réceptive à la poésie et se contente des facéties narcissiques qu’elle prend pour de la poésie.

 

Je ne m’aventure guère dans ces lieux prisés à forte densité d’égos au mètre carré, où l’on prend la pose derrière sa pile de livres en toisant le voisin. Je leur préfère quelques endroits soigneusement choisis pour leur convivialité et leur simplicité.

 

Dans le milieu fermé des « poètes », la médisance et l’indiscrétion sont des calamités.

 

A entendre untel maudire ses pairs, je me dis qu’il doit se haïr en tous ceux qu’il hait. Seul son fiel parvient à le maintenir vivant.

 

Dans mes années adolescentes, j’avais doté mon for intérieur d’un t vigoureux.  Dans ce fort, je m’imaginais à l’abri entourée de solides remparts. Quand j’ai réalisé mon erreur orthographique, je me suis aussitôt sentie fragile, vulnérable.

 

Ce que je recherche chez un auteur, c’est un univers singulier, une intériorité qui lui soit propre, une façon reconnaissable.

 

Bien sûr, et heureusement, l’œuvre dépasse son auteur. Cela n’exonère pas l’auteur de se passer d’un minimum de qualités humaines. J’attends d’un auteur qu’il soit en accord avec son œuvre, qu’il « s’efforce à ce que la vie et l’écriture soient le moins possible dissociées »,  ainsi que le formule avec pertinence Michel Baglin.

 

La poésie affronte toutes les questions qui bousculent les certitudes. Elle porte ainsi en elle l’essence de la vie.

 

La poésie a pour domaine le réel et bien au-delà.

 

Le réel est bien plus que la réalité observée.

 

Le réel est ce qui nous entoure, tel qu’il est convoqué et compris par notre corps et nos sens, notre intelligence, notre intuition et notre imagination la plus perçante.

 

Par le paysage, nous pouvons accéder au réel.

 

La poésie n’a pas pour but d’expliquer le monde mais de le vivre intensément, et par là espérer le comprendre.

 

Si un poème ne tient que par quelques artifices, il n’a aucune raison d’être.

 

La poésie est ce qui fait sens avec nos sens, avec ferveur.