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Petites notes d’amertume (4)

Aujourd’hui on ne meurt plus de vieillesse ou de mort naturelle. Claude Lévi-Strauss est mort d’un arrêt cardiaque à 101 ans. Même l’architecte brésilien Oscar Niemeyer est décédé de complications respiratoires à la veille de ses 105 ans, ainsi que nous l’ont appris la presse et les médias.

 

J’aspire à mourir à l’âge statistique moyen de mort naturelle… ou de mort volontaire à tout âge.

 

On ne guérit jamais de la tentation du suicide. On la suspend juste provisoirement mais elle reste à jamais tapie prête à surgir.

 

Quand on se suicide, on a déjà cessé de vivre.

Dès que nous abandonnons nos projets, c’est comme si nous enterrions une partie de nous mêmes.

 

Ce qui me maintient en vie, c’est que je n’ai pas peur de la mort. Pour l’instant !

 

La mort est ma seule certitude. Plus d’un demi-siècle après ma  naissance, c’est hélas tout ce qu’il me reste de fiable.

 

René Pons : « Un anniversaire c’est un pas de plus vers la mort et je n’ai jamais compris que l’on en fit une fête ». Puisse-t-on, à défaut de ma date d’anniversaire, se souvenir au moins de celle de ma mort.

 

De tous les coups du sort subis, la maladie est la plus injuste, la plus inacceptable. Pour le reste, on peut toujours se dire qu’on est en bonne partie responsable du déroulement de notre vie, par manque de vigilance ou de décision.

 

La vie est peut-être une anomalie et la mort l’état normal.

 

Ce n’est pas parce qu’on est en vie qu’on est vivant !

 

J’ai parfois l’impression de traverser la vie comme un fantôme.

 

Il y a dans l’amour effréné de la vie quelque chose de morbide.

 

Au décès d’un auteur,  son œuvre devient extrêmement fragile. L’oubli vient très vite, si la mémoire n’est pas entretenue par des ouvrages collectifs, des hommages en revues, des commentaires et des études, un site internet. Il est nécessaire d’entretenir les braises pour que le feu perdure.

 

Le pire ennemi d’un auteur est son ayant-droit. Au mieux il fait preuve d’inertie ou d’incompétence. Au pire sa voracité lui fait exhumer des fonds de tiroirs le moindre manuscrit que l’auteur y avait avec raison oublié.  

 

A la décharge des ayants-droits issus du cercle familial, sauf dans les rares cas de ceux qui ont auparavant activement collaboré à l’édition et à l’étude de l’œuvre qu’ils reçoivent en héritage, il est normal qu’ils manquent de clairvoyance et d’initiative. L’auteur était le père, la mère, le frère, la sœur, le compagnon ou la compagne. En aucun cas il n’était pour eux l’auteur tel qu’il est reconnu par ses pairs. Ils méconnaissent les méandres de l’édition et ses chausse-trappes. Le poids de la responsabilité d’une œuvre, dont ils ignorent souvent tout, est tout simplement inhumain pour les proches déjà accablés par l’absence et le chagrin.

 

Une œuvre ne devrait jamais être suspendue au bon vouloir d’une seule personne. Les auteurs dont l’œuvre semble s’en sortir le mieux sont ceux qui ont eu la clairvoyance de la remettre de leur vivant à un collectif d’amis et de connaisseurs prêts à veiller sur elle et à  la défendre.

 

Les éditeurs n’ont aucun intérêt à publier un auteur décédé, sauf si celui-ci est renommé et suscite toujours un large engouement, puisqu’il ne pourra pas participer à la promotion de son ouvrage, incontournable de nos jours.

 

L’œuvre n’est pas un bien comme un autre pouvant être transmis en héritage comme les biens matériels.

 

Ceux qui héritent d’une œuvre pour l’unique raison qu’ils ont partagé une intimité amoureuse ou un lien héréditaire avec un auteur devraient se rendre compte que cette œuvre ne leur appartient pas, qu’elle appartient à ses lecteurs.

 

Il est rageant de voir des œuvres à l’abandon, suite à l’inconséquence et à l’imprévoyance de leurs auteurs. Un auteur qui ne prévoit pas l’avenir de son œuvre nie et renie  tout ce qui a été sa vie.

 

Tout auteur devrait avoir à l’esprit que, sans lectures éclairées et pertinentes, son œuvre n’existe pas.

 

Suite extraite de Petites notes d’amertume
(à paraître en 2014, Les Editions Sauvages)