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Philippe Delaveau, Invention de la terre

 

 

Après le silence d'entrée de deux beaux haïkus le recueil s'ouvre sur la quiétude du foyer et de la nature au moyen de la liberté chantante du mètre. Tout au long seront convoqués, notamment, les lieux chers et les visages des maîtres en vers brefs ou longs jusqu' à former des versets. C'est  ceux-là qui  occupent les distiques mimant le roulement du train du poème " Transsibérien ".

Le charme du texte réside à la fois dans la prégnance du réel et d'une forte spiritualité annoncée par les citations en exergue. Un panthéisme - "quel secret lie les peupliers à leurs fuseaux ? " -  fête en quelque sorte l'ensemble que couronne la présence des anges. La voici liée à l'élément marin :

 

" Et cette baie resplendissante et calme où frémissent les anges. "

 

Même si cette présence est invisible elle est porteuse de vérité car c'est sur elle que ceux-ci veillent.

Ne peut-on pas supposer que ce sont ces anges invisibles qui aident le poète à inventer sa terre ? A la fin de l'ouvrage une note donne son explication au titre : " la poésie nous découvre-t-elle pas… le territoire sans limites qui s'étend hors de nous. "

La terre ne peut que s'inventer pour ceux qui sont appelés " les espions de Dieu " et qui, dans leur contemplation, sont émerveillés: " le réel est sans fin, sans limite, il étonne ".

Dans des tableaux où il travaille la couleur : " après le gris de métal vert de la lavande, un ciel promet le bleu, "   Philippe Delaveau explore la nature et ses éléments, champs, arbres, oiseaux, papillons et tous ont un rôle dans la cohérence du texte. En témoignent, par leur existence symbolique, les cigognes avec leur " Long bec désignant l'Est et le retour vers la Lumière ".

Le texte " Cimetières de voitures " et ses " signes de la mort " montrent ce que cette exploration peut parfois avoir de réaliste et, de cette façon, se trouve privilégiée, de part et d'autre de l'opus, l'évocation des moyens de transport. Le métro lui-même n'est pas oublié quand, à la sortie du Louvre – occasion d'une admirable description au sujet de Rembrandt - s'exprime, comme pour les bateaux et les trains, l'idée récurrente du chemin; un topos  que l'on retrouve dans des allusions aux rues et à leur bitume.

Ainsi les éléments qui sont liés aux saisons, telle l'eau sous toutes ses formes, par exemple celle de la pluie, prennent-ils ici tout leur sens. L'écoulement des canaux et des fleuves participe de ce motif du mouvement qui répond au besoin d'évasion du poète-voyageur. La nature a sa philosophie et sa rhétorique : "nous sommes là devant le temps du ciel et l'argument du fleuve ".

Tout au long de l'ouvrage sont présentés de multiples lieux,  sources essentielles d'inspiration, dont le sens mystérieux, " avec le signe explicite d'une présence " 1 restent à décrypter. Les Champs-Elysées, Londres, l'Inde etc. que traversent la Seine, la Tamise ou le Gange.

Il s'agit d'une quête apparemment satisfaite qui n'empêche nullement le questionnement. Nombreux donc sont les vers interrogatifs sur le lieu, le temps, la vie dans lesquels tout est prétexte à poésie :

 

" où est le bleu, la joie, l'ample ciel qui libère "

 

Jusqu' au texte 2 de " Grand Nord ", à la fin du recueil, perdure l'incertitude :

 

"Qui suis-je ? Où est notre pays ? Où la rive éternelle ?
Devons-nous traverser le temps sur une barque ? "

 

Le narrateur semble au moins obtenir une réponse à la question  " Où vas-tu ? " Car qui part souvent revient et peut écrire :

 

"errant aux quais bruyants, voyageur revenu
sur la  page déballant la valise et les mots lourds et nus "

 

L'écriture poétique qui " envie les aptitudes de la musique et de la peinture " 1 est présentée ici encore comme une des plus belles solutions pour " approcher le secret du monde "1. Symboles et métaphores, dans un lyrisme distancié qui sait se montrer à la frontière d'un nouveau langage, sont au service d'une quête de la vérité et de la pureté  comme l'est  le cristal des " Verres à pied ". A noter, au milieu de la variété des trouvailles, la personnification du soleil qui " éveille ", " nomme " et  " humanise ".

Le recueil évolue, grâce au verbe, vers la lumière qui chante et la conclusion de la prière " Supplication de Pâques " : " tout est si simple et vit dans la lumière… vous êtes toute Joie ",  résume le sens de l'ensemble des textes en affirmant une foi éprouvée et heureuse.

Depuis 1992, pour Philippe Delaveau, le poète est ce Veilleur amoureux qui cherche à comprendre  " pendant que d'autres dorment "1. Et c'est par " l'exercice du chant ", dit la note finale, qu'il peut apprendre à discerner le réel.

Enfin, le leitmotiv de la joie trouve son acmé dans le poème ultime. Par la magie des saisons, celle de la pluie où l'on " perçoit des  " sources de liesse " et  celle de la neige qui " révèle une beauté sans nom ".

Mais ce n'est pas " la joie, quand même " de Joseph Joubert. En effet, dans Invention de la terre, ce sentiment est profondément lié à la Présence métaphysique signifiée dans le haïku qui clôt le recueil et embellie à la fois par l'éclat de l'or et par le frémissement des anges.

La poésie et sa musique sont  bien ici magnifiées dans la mesure où " L'art est la contemplation de la Présence ".

 

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notes :

1) interview " Instants d'éternité poétique avec Philippe Delaveau " par Alix de Boisset https://ikoness.com/2015/11/22/202/