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Philippe Labaune, Tokyo drone et autres poèmes

 

le général me disait on pourrait être des héros juste un jour je crois me disait des héros  je marche vers mon rendez-vous vers ma totale disparition je marche dans Yanaka Ginza l’heure du silence et tout fermé les boutiques les petits marchands les jouets lumineux les odeurs de cuisine rien rebel rebel m’avait-on chanté dans le bureau de l’ambassade cette nuit en me donnant l’adresse – 54 -  et maintenant au petit matin dans la rue vide le métro aérien les fils téléphoniques j’avance en dansant courbe de la rue façades aveugles tout écrit dans la verticale tout clos courbe du pont suspendu je suis la tache de couleur électrique dans cette carte postale en noir et blanc je penche je pense à l’amour que j’ai pour elle qui brise mon cœur en deux chorus des cuivres je marche dans un film muet tout dans la tête je suis l’agent double et secret je cherche le contact l’indicateur le mystérieux porteur de message - nom de code Xenon -  tout ce silence autour de mes pas je marche et n’avance pas comme dans la brume en mon royaume solitaire je suis une étoile noire en pleine nuit l’adresse n’existe pas le monde vide les ondes invisibles autour et en moi un désert urbain c’est l’accident industriel mon cœur en fusion comme une légère vibration dans l’air mes pieds touchent à peine le sol dans cette avancée statique un monde dessiné au crayon mon nom partout sur les enseignes illisible mais partout le monde s’est ouvert à mon passage je regarde à gauche grilles baissées ombres collées aux parois métalliques - où es-tu Xenon ? - je regarde à droite palissades le ciel à dix mètres porte tes yeux par ici Xénon où que tu sois ton magasin vend des coquilles d’oeufs je suis au paradis mes cicatrices ne se voient pas et maintenant je cherche ta main et sa clef m’a dit le général une clef pour faire son office le ciel si blanc et opaque sur mes yeux et le sol noir de graphite un jour tout le monde me connaitra la rue en courbe immensément vide comme morte regarde par ici mec je suis en danger je n’ai plus rien à perdre je plane si haut au ras du sol que ma tête me tourne - ça ne me ressemble pas ? penses-tu - je suis le merle bleu celui qui décode les clefs - d’où vas-tu venir mon amant secret mon agent terrible ? - je vivrai comme un roi dans cet extrait de rue en courbe ne penser qu’à ton cul mon caché mon innommable j’ai des cicatrices qui ne se voient pas et que je te montrerai – le texte dévisse peu à peu - à hauteur du 53 à deux pas puis 55 manque une case une fissure dans l’espace un blanc dans le regard une percée une ouverture où saisir la clef Xénon j’appelle ma voix ne sort pas rien pour faire vibrer l’air agiter les radiations comme s’il y avait un calque sur l’image dans laquelle j’avance – aucun retour possible - cri blanc déchirant Xenon mon secret approche-toi tends le bras le général m’a pris les mains hier et nommait les lignes mon général au teint pâle - non pas demain maintenant - le fou dans la zone chaude la musique est à l’extérieur elle cogne sur les parois du ciel de craie et je marche entre deux murs de rythmes et j’ouvre la gorge pour chanter la sale leçon du chœur pour t’appeler Xenon je te sens l’enfer derrière les rideaux de métal quelque chose dans mon ciel quelque chose dans mon sang qui cogne pour toi la clef la clef la clef qu’arrivera-t-il quand tu la poseras dans ma paume je ne verrai même pas ton regard ton visage impossible dans la nuit tout le souvenir des années mortes s’il y avait seulement une sorte de futur je crois que j’ai perdu mon chemin je suis cinq ans de plus dans Yanaka Ginza et ses fantômes - où sont-ils tous ? - pauvre mon âme je suis l’espion debout si près je cours dans le vide sur place pour l’éternité saisi dans une suspension du temps le général l’ambassadeur le code - je me souviens - la mission la rue bruyante comme vidée 54 n’existe pas même de profil ça n’entre pas des tambours sonnent derrière les murs aveugles de la rue ça s’approche et je ne vois rien suis une silhouette stationnaire dans cette rue de Tokyo -  ne veux-tu pas être libre ? - la poussière de lune finira par me recouvrir repas et mort dans un monde de lumière bleue envoyé ici pour toucher l’invisible distillation fractionnée de l’air liquide où sont-ils dans le silence le métro dans mon rêve m’a déposé au cœur de la supernova comment revenir peu à peu m’efface avalé par le vide de la rue morte confusion des lignes et des sons à gauche à droite sans fin quatre notes attaquent ma mémoire c’est un vol simulé un entrainement - où êtes-vous général ? - je suis l’insecte qui gratte le sol un crayonné sombre dans un paysage vide pour l’éternité dans cette zone de sécurité cette rue je vis d’heure en heure la mort de l’homme sans odeur lorsque rien n’est rien vanité est trop lente il n’y a pas d’enfer je nage dans la rue Yanaka Ginza en trompe-l’œil quelque chose de trop complexe pour un homme simple je ne sais plus ce que je suis venu faire ici sinon disparaître il n’y a pas d’enfer il n’y a pas de honte mon général juste devenir bleu et retenir son souffle – good timing drone - il n’y a pas d’enfer il me faut rester à l’écart de l’avenir ma vie se perd dans les feuilles mortes et dans le vent tout est arrêté tout est dérangé il n’y a pas de clé – aucun contrôle – je suis maintenant un homme brisé celui qui perd son nom les flammes brûlent mon corps invisible cette rue n’existe pas il serait bien d’avoir de la compagnie pour de grandes conversations en regardant les démons au travers des fenêtres appelez ça un jour rêver de sommeil je suis avec le nom caché des baisers et des morsures inspirant-expirant  donnez-moi une fois de plus que je sente encore la douleur comme de la neige –couvre-moi couvre-moi – profondément enfoui dans l’air mort un zéro dans le tissu du temps lui-même j’aurais voulu vous ramener à l’entrée de la rue j’aurais voulu vous ramener au moment où tout a commencé

 

Extrait de la série Drones, octobre 2018.

La ballade de Desert Eagle

  1. Swing pied droit dans l’écran de la téloche ça bave bleu partout la mire en giclées plein la tête du blue et un et deux et vlan Suicide joue jukebox babe ouch peux plus les voir les trop de signes d’objets d’images démolissons même les ruines et bang jean chemise bretelles jaune blanche rouges tenue du dimanche encore un coup last time dessiné gros fort et à la bière you’d better work bitch
  1. Aspiré par la machine recraché de nuit au désert ouesterne comme j’en rêvais petit j’entends les têtes parlantes et les serpents à ssssonnettes chanter salut cow-boy qu’est-ce que tu mattes sur ton cheval dans le bleu de la nuit américaine comme l’éclair sur mes pompes vernies dans le sable tu glisses de l’autre bord de la colline et c’est indolore et c’est moi dans quelques heures la puissance d’un cheval à l’arrêt

Interlude - Saupoudré de gris un geste de la main la besace et l’ennemi qui guette ça tangue dans la maison en mouvement j’entends encore les trompes du désert je chante et ça répond en chœur lève un bras et l’autre l’assaillant de baisser la garde et me prendre contre lui fin de la guerre d’Espagne en électrofunk à suivre l’avilissement continu avers et revers d’un monde de bruit et de fureur William sors de ton trou

  1. La fille à la Cadillac en plein soleil bientôt ici votre pavillon avec piscine quadrichromie quatre par trois à l’américaine y a quoi dans ton coffre je descends la bute le soleil comme une râpe sur l’échine le skaï du volant va me cloquer les paumes ça pue à l’arrière on a tous quelque chose à cacher je pratique l’anesthésie sensible l’opérateur verbal cogne sous le capot brûlant je ne regarde plus pour voir
  1. Caterpillar à fond les ballons en plein milieu d’un grand rien jaune je l’ai appelé une fois deux fois et à chaque fois bridge impossible fonce droit dans la faille et fume fume little loader ça me rappelle une chanson de Franckie l’esquimau souffle sur le sable et c’est la tempête pourquoi ne pas manger la neige canari et la chenille déroule ses accords électriques à toute berzingue et racle et plonge dans le désert en feu et sonne la sirène et tout foutu en l’air le parc d’attraction mondial aucun exercice de soumission et les vapeurs du diesel dans les yeux

Interlude – sous le désert un salon dans la mer et une sirène qui embrasse les dormeurs on change de dimension tout allongé plus rien d’un carré une poche sans oxygène tout fluide le chant des baleines pour oreiller aucun signe extérieur de rébellion je suis le souvenir d’un rêve ce nageur énigmatique et sa poupée gonflable misère

  1. enfin enfin presque le métro transglobal et creuse et fore et perce et sape une Joconde de profil on dirait ma copine Alice un rat dans le moteur avec ses airs de ballerine c’est une grosse basse qui avance sous le crâne passe-moi la clé et le mambo encore et encore ta musique de froussard et chante avec les sept nains de la mine oh joie du travail
  1. c’est piscine on est tous là avec nos gueules de déterrés Alice William Franck Yma Sumac attention sol glissant ne pas courir manqué l’éclipse qu’avons nous appris de notre roman d’aventures technicolor akétibotiptipbombodirabambum maintenant toute l’essence dans le sang et la sagesse et la trahison des images dans des vapeurs de fuel non à la torpeur et à la mort oui à la couleur

 

Extrait de la série Drones, Juillet 2018.

First burning attraction

intérieur nuit de l’hôpital lumière clignotante du néon - .S.O.R.T.I.E. -  je compte les cliquetis de l’ampoule couché 80 bpm c’est l’issue de secours mon lit et son alèse de plastique légère moiteur du corps qui colle aux draps quelque chose sort du noir c’est ma dernière photographie pâle mon corps sur le lit blanc des siècles de surexposition très loin une petite sonnerie - comme une alarme - depuis un très profond sommeil et une note tenue - presque une voix - une lanterne rouge flotte dans l’air noir - suspendue et en mouvement à peine - va et vient de la couleur sur la rétine quelqu’un frappe à la porte mais loin les bruits du monde comme tamisés  – peu à peu - d’autres corolles rouges sortent du noir et avancent sur le chemin je les vois depuis mon lit mais ce chemin n’existe pas dans ma chambre ce sont des enfants - des fillettes - les coups sur la vitre - la porte – insistent de la vaisselle brisée et fourchettes et couteaux et cuillères qui tombent sur le sol de carrelage - cascade de métal - un homme me parle à l’oreille c’est une plainte il est si loin - comme un astronaute - dans la nuit du ciel les fillettes avancent encore toutes blanches et sans visage - juste un ovale plus sombre - les lanternes à la main un champ de coquelicots en mouvement dans la nuit une marche - si lente - si silencieuse - j’entends le réfectoire – au rez-de-chaussée - qui entrechoque – brise - un torrent de couverts en inox l’autre me parle encore c’est – à peine - un message de Jim Lowell je n’entends que sa peur qui grince et racle comme un vaisseau à la dérive dans les galaxies 160 bpm plus de vingt lanternes rouges maintenant je n’arrive pas à faire le point un grand flou sonore une masse informe de respirations et les images mobiles avancent les fantômes d’enfants et deux

sur le bord grimpés

sur un mur

sous le poteau télégraphique

deux ombres qui me désignent du doigt

halos écarlates progressent depuis le fond du noir les petites princesses-sorcières s’approchent du lit lanternes à la main dans ma tête je clignote maintenant et peu à peu effrité mon corps de sable grain à grain se défait une absolue sécheresse - un désert sur le lit - Jim à l’intérieur de mon oreille - une plainte - on dirait qu’il pleure la note ne faiblit pas et tourne et ronfle et gonfle et envahit l’image une première attraction brûlante c’est un cortège funèbre qui passe à côté de moi c’est une roue qui frotte glisse le long du lit fillettes sans regard - le vent dans leurs cheveux - le vent dans ma chambre de malade très en-dessous - sous l’hôpital - sous les sous-sols - la note vibre et circulaire c’est le son des guirlandes rouges - le son d’Apollo - qui dérive et flotte mon lit sur les épaules des petites mortes c’est un cri qui ne peut pas - inarticulation de la douleur -  leurs pieds ne touchent pas le sol - ont-elles des pieds - je ne peux pas aller plus loin reste une note qui s’éteint dans le brasier des sons

 

Extrait de la série Drones.

Présentation de l’auteur

Philippe Labaune

Philippe Labaune est né en 1959 à Paris, il vit et travaille à Lyon.

Auteur tardif et metteur en scène précoce, il a fréquenté pour ses créations nombre de poètes : Rilke, Pessoa, Collobert, Zürn, Gleize, Prigent, Dubost …

Il met en scène également les textes de la jeune génération d’écrivains dramaturges : Roche, Mougel, Gallet.

Passeur de langues, il a fabriqué pendant 25 ans des spectacles comme autant de poèmes théâtraux. Il y défend un « théâtre de poésie » qui ferait la part belle à la perception sensible et inconsciente.

L’écriture émerge aujourd’hui comme une rivière souterraine qui atteindrait le jour après tant d’années de travail invisible.

Il publie aujourd’hui ses premiers textes nourris probablement, par capillarité, de l’univers des auteurs dont il a pris à bras le corps la langue sur les plateaux de théâtre.

Ses textes sont publiés dans les revues en ligne ou papier : L’Ampoule, Impromptus,  Lichen, Traction brabant, Nioques, Sitaudis, le cafard hérétique, Dissonances, Fpm, Ouste, Paysages écrits, Ornata, Infusion, Le capital des mots, L’atelier de l’agneau, Editions de l’aigrette.

Son premier recueil, Oeils, paraitra en 2019 aux éditions Gros textes.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Autres lectures