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Philippe Mathy, Dans le vent pourpre

Les lecteurs qui aiment les livres « de chair et d’encre » sont comblés : si la beauté des publications des éditions L’Herbe qui tremble ne fait aucun doute, les peintures d’André Ruelle (peintre avec lequel Philippe Mathy a déjà collaboré) font de la présente publication un livre remarquable.

Le recueil comporte sept séquences de poèmes soit versifiés soit en prose, chacune introduite par une peinture, à l’exception de la dernière composée de poèmes de circonstance. Bien que l’écriture prenne source lors d’occasions diverses, la voix du poète assure une profonde unité.

Violence et recueillement pour la première partie intitulés Verdun – écrite lors d'une résidence d'auteurs en mars 2016 – qui évoque le champ de bataille dans un paysage où l’âpreté du souvenir se mêle à la douceur du printemps et de la lumière, une dualité qui se retrouve au cœur des images : « une sueur de gel », « la mort vit encore », le « brasier bleu » des souvenirs…

la Meuse serpente immobile
les poches emplies de terre
de cailloux
de poussières d'homme. 

Philippe Mathy, Dans le vent pourpre, Gouaches d’André Ruelle, Éditions L’Herbe qui tremble, pages 124, prix 16 euros.

Suit la séquence intitulée Jours de cendre qui sont des poèmes sur l'acte même d’écrire, une méditation tout en délicatesse sur la fuite du temps et à la monotonie des jours avec  « si peu de fenêtres ouvertes sur l'inconnu »,  des jours gris où tout est noir et froid, au cours desquels le poète, en proie à la solitude, la tristesse et l’ennui, las de « ramer à contre-courant », s’interroge

Que sommes-nous ?
Si peu de brouillard de vivre
Un amour qui s’efface- un autre qui perdure

ou encore

Qui ai-je été ?

Quelques pas essoufflés dans le fracas de vivre
cherchant le feu d’un amour
la vigne d’un rêve où goûter à l’ivresse des jours

La séquence suivante donne son nom au recueil, son illustration figure donc sur la couverture et c’est sans doute la plus belle des six : on y retrouve le rouge violacé qui caractérise la couleur pourpre du vin, celui du Val de Loire où vit le poète une partie de l’année. Le vin, présent dans le verre que l’on entrevoit entre les pieds de la chaise, posé à même le sol. Une grande douceur émane de la peinture d’André Ruelle aux couleurs de bois rougeâtre, de tissu couleur de nuit, de feuilles et de soleil où l’on voit un homme assis tenant dans ses bras une femme aux trois-quarts dévêtue, une invitation à l’ivresse, à l’amour.  Des nuances feutrées à l’exception, en haut du tableau, du vert cru des grains de raisin auquel répond, dans le bas du tableau, le rouge pourpre du vin dans le verre, comme deux symboles qui s’interpellent et insufflent une vie au souvenir.  

Attendre
sur la rive de ce fleuve
où le matin
vient déposer sa chevelure
pour chanter le désir
de plonger dans la tienne

Quatorze poèmes que le poète traverse dans des pages hantées de paradoxes (« si lointain le proche/ si proche l'absence ») qui, avec grâce et subtilité, disent l’amour, le désir d’infini et de liberté. La nature s’invite dans le quotidien de l’auteur : « la nappe du ruisseau », « le ciel glisse un drap bleu »… Entre visible et invisible, le poète trace un chemin sur lequel le passé vit dans le présent, où « le cœur peut s'ouvrir/ comme un fruit » dans la lumière tamisée.

 Dehors, mains ouvertes est peuplée de voix, de reflets, de parfums de fleurs, de tremblements de feuilles, d’oiseaux « qui cachent l’invisible sous leurs ailes ».

Dans Rive de Loire, où l’on assiste à une véritable symbiose entre le poète et la nature, la concision du style s’intensifie, le désir se fait de plus en plus présent et se lit dans le choix des mots « frisson », « étreinte », « toison », « pénètre », « langueur », « enfanter »… bien que le poète, accordant au lecteur une totale liberté d’interprétation (les mots cités sont attribués à la brume, la lumière) reste dans une discrète retenue, à l’image de l’eau :

L’eau, elle aussi, ne laisse rien paraître.

Belle île, lieu « où le futur devient possible » est composée de poèmes en prose. La séquence s'ouvre sur l'image maternelle et apaisante d'un paysage de quiétude où sommeille un bateau « couché sur la peau de la mer » , les vagues des jours « caressent les fenêtres », laissant apparaître en filigrane la silhouette d'une jeune fille absente (disparue ?) que « seul le soleil peut voir ». La tristesse ne saurait cependant s'imposer. Le passé, sans lequel l'avenir ne serait pas, s’avère de fait indispensable.

Tu parles et ce ne sont pas des débris du passé mais le lever d'arc-en-ciel d'une parole après la nuit.

L’île est un lieu de renaissance où le souffle des profondeurs est autant celui de l’océan que celui du poète.

Le livre se termine sur des textes de circonstance dont les dédicataires sont des personnes chères à l’auteur. Mais le livre n’est-il pas tout entier une longue dédicace ?

Ce vent pourpre nous offre « des mots sans grillage » qui s’écoulent avec fluidité (peu de ponctuation, aucun point final excepté dans les poèmes en prose), un vent qui souffle sur la beauté tranquille des fleuves (La Meuse, la Loire) en attisant le feu des paroles qui embrase le cœur, un livre qui réchauffe comme ce « bol de porcelaine à la soupe bien chaude. Impossible d'y boire encore, mais on s’y réchauffera les mains dans les jours ou le froid nous assaillira ».

 

Présentation de l’auteur