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Phoenix n°12, prix Léon-Gabriel Gros 2013 décerné à Martino Baldi : Chapitres de la comédie, traduction Valérie Brantôme

Jour ordinaire comme tous les autres où « je » vaque à ses occupations quotidiennes, nécessaires ou futiles : cependant : ce fut un jour mémorable// et personne ne s’en avisera. Paradoxe.  « Je » s’interroge  sur le moment précis du passage d’un état dans un autre. Est-ce signe d’inquiétude, lui qui vient de tuer son père de façon préméditée, sans raison apparente, lui qui ressent, à distance, le moment précis de cette mort, est-ce un signe d’amour ? Est-ce une référence à ce mythe répandu du meurtre du père, de tout ce qui précède, une libération ? Voilà bien des questions que « je » ne se pose pas.

Dans 32 canettes, on fait le tour du propriétaire : les activités ordinaires, on vit, on existe comme les autres, on boit, on mange,  on se masturbe, on rêve à partir d’une fille, d’une chanteuse, on déballe ses gourmandises.  Le lecteur a l’impression que nous ne sommes plus vivants que par des ordres interposés venant du monde extérieur. Nous n’écoutons plus qu’un discours tout fait, enregistré par la mémoire. Conditionnés, nous choisissons la facilité, l’obéissance.

Mélange de réflexions et d’attitudes matérielles, M. Baldi essaye à travers la banalité du quotidien d’extraire quelque chose de durable qui puisse faire face au monde si même le point de départ est un meurtre, un obstacle peut-être. Il faut détruire quelque chose pour renaître ou naître. N’est-ce pas l’acte du poète face à la page blanche. On tue la blancheur, on macule la page (masturbation mentale), on laisse des traces de sang, d’odeur, de ses petits méfaits même à l’égard de soi. On se relâche. Nous partons à la conquête du monde, Baldi nous parle du drame intérieur qu’il généralise (c’est le drame de chacun) ainsi n’est-il plus seul et peut-il se pardonner à lui-même ses petits gestes ressentis par moments comme honteux, inutiles instants que l’on accomplit forcés par ses envies, toujours à la recherche du moindre plaisir.

Les textes tirent leur origine d’événements personnels et répétitifs ou d’événements collectifs et publics. Tout sujet est utilisé sans exclusive, il suffit de regarder, d’écouter.

Rien de nouveau en somme :
le creux dans le lit n’est pas comblé et les mots
sont dans leur éternel sang moisi.

Baldi assume une certaine humilité en affirmant la reconnaissance qu’il doit à certains. Il y a une volonté de s’intégrer, de s’inscrire dans une culture et de la nommer face à ses lecteurs. Des personnages apparaissent comme si l’auteur recherchait une unité évitant la solitude pour déboucher sur un partage. La vie est là, diverse avec ses joies, ses peines. Baldi y mord avec retenue et souplesse, sans trahison, sans fioriture, au plus près du réel ressenti.  Il élève la vie. Il n’en fait pas une lumière, un modèle à suivre, mais juste, il la souligne. L’auteur montre et par là fait naître un monde de simplicité qui sert, en fait, de paravent à la complexité de la vie, à son inquiétude. Pour ce faire, il utilise un langage clair, net, précis, débarrassé de métaphores grandiloquentes. Nous écoutons Baldi plus que nous ne le lisons.  N’est-ce pas une moquerie du monde et de lui-même, une façon aussi d’être plus crédible dans ce qu’il affirme renvoyant la chose à chaque lecteur ?

Chapitres de la comédie : celle de tous les jours, notre éternel rôle transmis de génération en génération.

Nous avons retrouvé les miettes d’un sanglot et, sur l’agenda,
entre les tickets de caisse des courses et les notes de téléphone,
recopiés d'une écriture d'enfant
deux vers d'un poète resté un fils à vie.

Un ami tout jeune père m’écrit son étonnement
à la vue de la merde jaune de son fils
et je pense alors à combien de choses
utiles pour la compréhension et l’organisation du monde
on peut tirer de la merde des autres.

  Deux passages qui font mieux comprendre, plus qu’un discours, l’univers décrit. Tout Baldi est là avec sa tendresse, sa vision d’homme ordinaire, son acceptation et son étonnement d’exister dans les faits les plus concrets de la vie mais aussi sa volonté d’y échapper par une généralisation lancée avec franchise à la face de chacun.

Phoenix. Cahiers littéraires internationaux.
Direction : Yves Broussard et André Ughetto
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Revue Phoenix, 9 rue Sylvabelle, 13006 Marseille
Le numéro : 12 euros