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Pierre Andreani, Deux années sans mois d’août

 

Soudaine allée magique aux profonds bords de vase !
Avant-drame au soleil sous les vents maritimes !
La neige est lasse et lente, tout en rodomontades
et nous sur de grands arcs devisant sur nos peines,
nous adressons un signe au vieux page anobli,
qui nous répond, distrait, d'un sourire équivoque.

 

*

 

Déploiement virginal des longs, des bras des hommes,
entourant cent étoiles dans la nuit noire et grise
et profondément triste et totalement noire,
dans la main un ticket de loterie : froissé.
(Voiture remplie de protestataires alanguis)

Sur le pont d'un navire ceint de flammes,
l'évadé glisse et vole, se retient aux rambardes et
termine sa course dans le lit de l'épave.

 

*

 

La majeure île rouge et sa tour défaite,
l'obélisque
agencée sous les terrains de nacre
et le nid alangui d'une pie de passage.

Sur la table imagée, plus rien ne s'étale que
d'un vieux bord à l'autre, horizontalement,
et vif coup de bec,
et vifs éboulis,
et la vive brillance des couverts en argent.
Ce n'est pas un cauchemar, mais un rêve-nervosité.

Je me souviens souvent quand la terre a tourné
de ce son familier qui noircit les refrains.

 

*

 

La rétine est sauvage et nous crée des images qui s’impriment à l’envers.

Rapidité des conclusions qui commandent à l’exalté.
Cloches qui sonnent à l’extérieur du bâtiment.
Ça joue courbe autour des rythmes légers, sinueux,
extatique, en fissure, sur ce beau mur lézardé d’amour !
Ah ! Ce qu’on se dit seul, quand on prie, zélé !
Tant d’espérance dans ce tambour qui sonne juste !
Si seulement je le pouvais, de plaisir je vivrais,
toujours au trombone à déverser des cantiques.
Boum ! Un coup pour l’altitude, un autre pour la chaleur.
Bam ! On lève les drapeaux, on danse et sonne et claque !

 

*

 

J'ai apporté le pain, j'ai apporté le glaive.
J'ai fait semblant, je n'ai fait semblant de rien.
Il demanderont des comptes, ce sera l'heure enfin
de brûler ce qu'il reste de soi : le petit horizon toujours bien là
et qui mâchonne sérieusement les neurones.

 

*

 

Les appeaux de la gloire sifflotant dans l'abîme,
cette mélodie en rond et je n'existe plus.

À mes oreilles mortes se souvenant de vous,
je me dis « mais encore ! » et que « si j'avais su ! »,
un frottement de cuisse sur un canapé blanc.

 

*

 

On range les étals, le poisson invendu
négligemment jeté par dessus bord,
les mouettes hurlent et tournoient ;
l'homme s'approche d'un groupe de touristes,
il a le teint hâlé des wanderers,
il n'a pas mis d'eau sur son corps depuis des mois et sa barbe est roussie,
il porte également le béret.

 

*

 

Et sans haine, sans violence,
puisque le Prince est mort ce matin,
il se saisit des clés de la ville,
ancien étudiant en prédication,
par la parole il exhorte,
dans la nuit sous un réverbère,
déclare qu'aucune contrefaçon
ne lui plaît et qu'il s'ennuie,
qu'il n'attend rien en vérité de personne
et appelle au schisme sans hésiter.

 

*

 

« Le temps que je perds à m'alimenter,
à méditer, soleil qui fend la poupe et canot qui dessale...
autant de temps perdu pour faire le grand ménage
dans mon appartement...
J'ai laissé je crois la porte béante. »

 

*

 

Seulement soutenu par ses trois enfants
qui dépenaillés se mettent les doigts dans le nez
en remontant leur pantalon,
l'homme au regard d'acier, au béret noir
avec un bandeau attaché à l'avant-bras,
sent que son calme est profond devant l'insuccès.

 

*

 

Observer la sophistication du monde
d’un œil de vache, se laisser aller
au temps qu’il fait être celui qui s'enrhuma.
Un songe rythmique prend la place de l'élan furtif.

Je suis passé devant toi,
créature bicéphale, dont le col remonte.

 

*

 

« As-tu vu les rangs, les sursauts de la rue,
les valises éventrées, les cortèges appliqués
sur la route bloquée par les forces de l'ordre ? »

Deux années sans mois d’août et tout un temps de solitude,
passer par l’humeur, inattendu blasphème,
pour se faire remarquer et entendre...

 

*

 

« Maîtresse aux yeux vairs,
Aphrodite élevée dans la haine et le froid,
en veux-tu, en voici, aux regrets éloquents :
des charrues délaissées,
et cascades de chèvres qui secouent en arrière
et moi en riant,
frappant un grand coup dans le dos de la bête, ivrogne ! »

 

(2017)

 

 

 

Présentation de l’auteur

Pierre Andreani

né à Ollioules (1983). Vit et travaille à Marseille.
Diplômé en Art Visuels à l'université Paul Valéry (Montpellier III) où il suit le séminaire d'Alain-Alcide Sudre sur le cinéma expérimental.
Il crée en 2010 la revue Milagro, diffusée à quelques dizaines d'exemplaires. Le cinquième et dernier numéro de la revue est consacré à la poésie de Roger-Gilbert Lecomte.
Il a publié des textes dans les revues Verso, Bleu d'encre, Traction-Brabant, Comme en poésie, Lichen ainsi que deux recueils de poèmes (Un tel bombardement, ed. milagro/Bodbooks, 2015; Les supplications du monde (celui qui entend), ed. Clapas coll. Franche Lippée, 2017) et un récit de voyage (Cahier d'Argentine, ed. du Port d'Attache, 2016).

 

Pierre Andreani