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Pierre Dhainaut, Après

Un titre bref, chargé de gravité et qui incite au questionnement : après quoi ? On pressent qu’il s’agit d’un événement d'importance, pour ne pas dire capital.

Dans ses notes en fin de livre, Pierre Dhainaut nous renseigne sur les circonstances qui ont précédé l’écriture de textes qu’il hésite à qualifier de poèmes : une opération du cœur suivie d’une longue et douloureuse période de convalescence.

Les sous-titres introduisant les quatre parties  : Voir cela, De face (I), De face (II), Dire ensemble, pourraient constituer une phrase résumant le recueil : l’auteur nous invite à regarder la réalité en face et nous la fait partager par l’intermédiaire de la poésie.

Les textes sont courts et dépouillés. On entre de plain-pied dans l’univers aseptisé de l’hôpital où l’individu est réduit à des données administratives et à une pathologie.

Pierre Dhainaut, Après, Éditions L’herbe
qui tremble 2019, aquarelles de Caroline
François-Rubino 70 pages, 13 euros.

Poèmes de la douleur et de la solitude : « Dès que / l’on pénètre en ces chambres, on est seul, / à la nuit ajoutant de la nuit » écrit l’auteur dès la première page car l’espace hospitalier, lieu où se confondent les bruits les êtres et les choses, où la seule référence est son propre corps souffrant, est un monde clos sur lui-même, un lieu d’angoisse et de perte d’intimité, où l’identité se réduit à des lettres et des chiffres attachés au poignet et que l’on doit répéter sans cesse pour prouver qui l’on est, où l’on en arrive à se poser la question : « qui es-tu, quel est ton rôle ? »

« L’alliance, / l’alliance même a été retirée. »  La répétition du mot alliance et l’emploi de l’article défini à la place du pronom possessif donnent une dimension symbolique qui confère au vers toute sa force : outre la négation des souvenirs les plus chers de la vie de l’auteur, tout lien avec l’extérieur est interrompu.  Dans ce lieu de perte de repères tant spatiaux que temporels, où l’heure affichée par les pendules est elle-même incertaine, naissent les doutes et les interrogations. L’oreille cependant perçoit des sons et l’œil regarde. Contraint à une intériorité où le je ne dis tu qu’à lui-même, l’auteur cherche une voix, son regard cherche un appui. Il écrit : « son visage / te rendra un visage ». Et surtout, il lui faut retrouver la parole et pour cela le souffle car lui-seul permet de prononcer les mots, des mots qui vont apparaître comme une clarté fugace. Cependant, malgré la difficulté à retrouver le chemin de la poésie après l’épreuve, Pierre Dhainaut nous confie que dire est peut-être déjà de la poésie.

En effet, partager des perceptions, c’est comme trouver la source des mots à naître, des mots «  hors cadre »  c’est-à-dire « après » quand, tapis dans l’ombre, ils chercheront la lumière pour s’épanouir en paroles fécondes : « les mots ouvrent des portes », « nulle phrase ne conclue », « les mots coulent sur l’infini, sur les souvenirs » des souvenirs qui sont présents dans ce recueil lorsque l’auteur se souvient des souffrances de l’enfance et constate qu’il n’y a pas de différence,  on a beau avoir vécu,  la douleur est toujours perçue de la même manière, « toutes les douleurs / sont d’enfants. », « entre les âges / entre les cœurs, les souffles / ne font jamais la différence / la nuit ils préviennent / inlassablement / qu’ils vont manquer. »

Car dans ce livre il est essentiellement question de souffle. L’auteur témoigne de sa douloureuse expérience où la poésie était inexistante, et l’on comprend que l’énergie créatrice, le souffle des mots, est inhérente à l’énergie vitale, le souffle de l’air qui entre et sort de ses poumons, « Étouffement, /cela t’envahit tout/le corps. », « Tes lèvres scellées interdisent / au murmure des souffles / de se mêler à la rumeur / commune. » mais aussi : « il suffit de balbutier un mot / « porte », par exemple, pour que le souffle y puise / de quoi ébranler la mémoire, remuer l’air / au grand air des syllabes… ».

Comme le disait Christian Bobin lors d’une interview, écrire, c’est aller du dedans vers le dehors. Écrire sur l’impossibilité d’écrire va permettre au poète la réappropriation de la parole qui, telle une vaste respiration, ramène à la poésie.

Après est un livre sur la souffrance et l’incapacité poétique qui l’accompagne, sur le passage de l’immobilité au mouvement, sur le lent cheminement entre l’antichambre de la mort et le retour à la vie.

Les illustrations de Caroline François Rubino posent un regard de ténèbres à la limite de l’étouffement. On peut voir, dans celle de la couverture, une rupture dans un chemin de vie. La suivante, statique et noire, dont la trame laisse à peine filtrer un peu de lumière témoigne de la douleur et de l’enfermement. Mais les suivantes vont progressivement vers une ouverture, un mouvement dans lequel on entrevoit un lent retour au jaillissement du souffle créateur.

Présentation de l’auteur