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Pierre Dhainaut, Un art des passages

« C’est pour respirer moins mal que, très jeune, j’ai eu recours au poème. Ce « recours au poème », Pierre Dhainaut l’explicite dans un livre rassemblant à la fois des poèmes inédits et des textes qu’il a publiés, au fil du temps, dans différentes revues littéraires.

Le poète du Nord, aujourd’hui âgé de 82 ans, nous livre par bribes les ressorts de sa démarche poétique engagée sous les auspices du surréalisme, mouvement dont il s’est progressivement détaché.

J’ai peu à peu compris que l’approche d’une parole juste nécessitait la contestation de ce à quoi j’avais adhéré.

Cette « toute puissance du langage », Pierre Dhainaut estime qu’en réalité elle « fonctionne à vide ». Et il ajoute même : « Que devient l’ambition de changer la vie au moyen de poèmes s’ils n’agitent que des fantasmes ? ». Pas question, donc, de laisser « le beau langage » nous « étourdir » car « que vaudrait un poème s’il occultait ce qui nous oppresse, nous diminue ? »

Un art des passages, Pierre Dhainaut, éditions L’herbe qui tremble, 260 pages, 19 euros.

Un art des passages, Pierre Dhainaut, éditions L’herbe qui tremble, 260 pages, 19 euros.

Pierre Dhainaut est du côté du réel, du côté de la vie (« Plus je vais, moins je tolère un art qui tournerait le dos à la vie »). S’il réfute la place trop importance qu’on accorderait à l’imagination, il met tout autant en garde contre une subjectivité débridée. « La poésie n’obéit qu’à sa propre urgence. De mes émotions, de mes indignations, elle tire parti, elle les transmue ». Evoquant sa mère et les fleurs sur lesquelles elle veillait, il peut ainsi noter :

Ce qui nous tient à cœur, le poème ne le dit qu’à sa manière, détournée.

Pierre Dhainaut croit à « l’influence bienfaisante du poème ». Pour lui, « est poète celui qui accepte de balbutier ». Comme lui-même l’a sans doute fait en privilégiant la forme poétique du fragment. L’auteur ne dit pas que « la poésie sauvera le monde » (Jean-Pierre Siméon). S’il note qu’elle est « la mal aimée, la délaissée », il estime malgré tout que nous n’avons pas à la défendre.

Nous ne convaincrons jamais ses détracteurs : insoumise, elle est la vie même.

D’où sa curiosité sans failles pour tous ceux qui, malgré des vents contraires, ont eu comme lui recours au poème : Tristan Tzara, Gérard Bayo, Max Alhau, Yves Bonnefoy, Nicolas Diéterlé… Sans parler de son admiration pour les artistes car, dit-il, « la peinture et la poésie ont les mêmes exigences ». Il s’attarde donc sur les œuvres d’Eugène Leroy, Jacques Clauzel, Alfred Manessier

La peinture à chacune de ses apparitions, en nous obligeant à réinventer le regard, nous oblige à réinventer notre emploi du langage.

En vieux sage, séduit lui aussi par un certain Orient littéraire à la forme brève, Pierre Dhainaut peu ainsi écrire :

Trois vers suffisent
à l’essor des poèmes
ils sont tous au long cours.