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Ping-pong : DEBASISH LAHIRI, poète bengali anglophone, présenté et traduit par Cécile Oumhani

 

 

Debasish Lahiri vit et écrit à Kolkata - Calcutta, capitale du Bengale Occidental. Il est aussi épris de voyage et sa poésie est marquée par les lieux qu’il traverse. Mais il ne s’agit pas d’une évocation qui ne s’attacherait qu’à l’éclat des apparences. Le poète poursuit une quête où l’espace, si incarné soit-il en un premier niveau de lecture, devient une métaphore aux multiples facettes. Elle mène aux seuils de l’intériorité. C’est une poésie qui puise aux sources de plusieurs cultures et irrigue la langue anglaise d’échos qui l’irriguent et la renouvellent.

 

 

Les poèmes présentés ici sont extraits de son deuxième recueil, No Waiting like Departure, exploration de l’attente et du départ. De Grande-Bretagne aux îles Andaman, en passant par Delhi, Shimla ou encore Trivandrum, Debasish Lahiri écoute ce qui vibre au plus profond de lui-même, à la recherche de ce point où les désirs se métamorphosent en souvenirs. Il interroge le passage du temps et sa douleur, assoiffé de la promesse d’un retour. Nous ne sommes ici pas seulement en Inde au 21ème siècle, puisque Lahiri y reste attentif à ce qu’Homère a à lui dire d’Ithaque ou Cavafy du voyage de la vie. Il entend aussi résonner en lui la mémoire du poète marathi Toukaram, qui au 17e siècle quitta la maison familiale pour aller se réfugier dans la solitude de la jungle ou encore celle du mystique et poète errant Chaitanya à la charnière du 15e et du 16e siècle.

 

*

 

Habillage ethnique

 

Changez les taches du léopard
Et la couleur blanche
Se moquera du soleil
En Ethiopie ;
Elle changera
La Bible
En un livre chaud
Lu dans des pays froids.
Changez les taches
Sur le bras de votre sommeil
Et votre poète
Ne chantera plus
En dehors des rêves,
Pas plus que les rêves
Ne se lèveront
Pour gratter le coin
De l'œil du Soleil
À l'intérieur
Du bras rouge de la terre,
Levé.
Alors le monde
Ne sera plus
Le corps
Pour ton habillage.

(Septembre, 2009)

 

*

 

 

Ethnic dressing

 

Change the spots of the leopard
And the colour white

Will mock the sun
In Ethiopia;
It will change
The Bible
Into a warm book
Read in cold lands.
On the arm of your sleep
And no longer
Will your poet sing
Outside dreams,
Nor dreams
Rise
To itch the corner
Of the Sun’s eye
Inside
The red arm of the land,
Raised.
No longer then
Will the world be
The body
To your dressing.

(September, 2009)

 

 

*

 

 

Perdu dans la vieille ville

 

Penché comme un après-midi
Qui touche ses racines cachées
Les années rosée-poussière,
L'hiver était
Comme une Delhi silencieuse,
Inchangée dans sa détermination au déclin ;
Ou comme la tombe
D'un prince anonyme,
Qui accroît l'ombre d’un Temps substantiel
Dans les jardins défunts
De la rose à venir.

(Décembre, 2012)

 

*

 

Lost in the old city

 

Bent like an afternoon
Feeling its secret roots

In dew-dust years,
The winter
Was like a Delhi of quietness,
Unchanging in its determined decay;
Or like the tomb
Of an unnamed prince,
Increasing the shadow of substantial Time
In dead gardens
Of the future rose.

(December, 2012)

 

 

*

 

Crépuscule à Delhi

 

 

Qadir mesure l'espace
De l'après-midi et du soir
Dans un mètre de lait.
Le soir vient comme le coucou koël du matin,
Discordant ;
Brumeux,
Autour des phares de voitures,
Des klaxons retentissent à un rythme
Que le corbeau affamé
De Karolbagh
Aurait pu entendre
Dans des maisons de cauchemar baignées de soleil

Idris
Le fils perdu
D'un Pathan aveugle
Pèse le sable,
Pâle comme le deuil,
Sur une véranda de ciels brisés
Dans le bleu d'Afghanistan.

Ramu
Mon libraire et allié

Connaît Catulle par ses côtes,
Et non par ses épithètes.

Une ville aux étranges mensurations
De ténèbres
Se lève sur mes divagations
Comme le brouillard des années

(Février, 2013)

 

*

 

Dusk in Delhi

 

Qadir measures the space
Of afternoon and evening

In a yard of milk.
Evening comes like the early Koel,
Unmusical;
Misty,
Around car-lights,
Horns hooting to a rhythm
That the starved raven
Of Karolbagh
Might have heard
In sun-lit houses of nightmare.

Idris,
The lost son
Of a blind Pathan
Who weighs sand,
White as loss,
On a broken verandah of skies
In blue Afghanistan.

Ramu,
My bookshop ally,
Knows Catullus by his ribs,
Not by his epithets.
A city of strange mensurations
Of darkness
Dawns on my ramble
Like the fog of years.

(February, 2013)

 

 

*

 

Marge de la perte

 

 

J'ai passé un après-midi rare
En compagnie
D'un corbeau,
Poète désolé,
À l'image de ce qu’évoque
La mer avec audace
D'une perte sans limites :
L'histoire des marges
Au cœur du temps ;
La terre ne sera jamais la mer,
Et la mer reviendra toujours
Trouver
Rien que la terre.
Désolé,
En compagnie
De mon vénérable corbeau,
Un après-midi rare
Soufflait des motifs d'encre
De sombre durée.

(Novembre, 2012)

 

*

 

Margin of loss

 

A rare afternoon I spent
In the company

Of a raven,
Desolate poet,
Matching the sea’s bold rendering
Of illimitable loss:
The history of margins
At the heart of time;
Land that never shall be sea,
And sea that shall ever return
To find
Only land.
Desolate,
In the company
Of my venerable raven,
A rare afternoon
Breathed patterns in ink
Of a sunless duration.

(November, 2012)