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Poèmes de Cristina HERMEZIU

coupe file

je l’ai cherché
centimètre par centimètre
dans l’ancienne gare
aux fenêtres sur la Seine

j’ai vu, en perdant quelques bonnes
secondes,
comme le sacré cœur dessinait
sur le ciel
un électrocardiogramme

il n’est pas là, ni là, là non plus
je l’ai cherché centimètre par centimètre
en attendant qu’il surgisse dans la salle suivante

l’amant perdu parmi les amants
futurs

et je ne l’ai plus jamais trouvé
ce tableau de Pissarro
avec un troupeau de brebis fleuri sur le chemin

 

 

la plus belle journée (I)

c’est là quand
tu tends la main
et elle disparaît

tu retournes (reviens)
au seul point
qui existe encore

sur le champ aveugle
du monde

et tu dis

ok. et maintenant ?

 

 

 

clause

j’ai pensé que je pourrais être
mon propre
nègre

écrire mes livres
à ma place
vu que je n’ai pas le temps
pas le talent
pas d’inspiration
ni le souffle
pour quelque chose
de si impondérable
(qui arrive avec la pluie
et j’ignore même si elle s’en va)

qui pourrait me donner s’il vous plaît
un ordre de grandeur
combien ça coûte
d’être
ton propre
nègre

 

 

lettre à V. (II)

 

parce que je pouvais écrire
à quelqu’un
j’aimais l’exil
comme un accouchement sous péridurale

j’oubliais que je n’étais
qu’un œil de graisse
qui reste toujours
à la surface de l’eau
et au fond du verre

j’oubliais que je n'étais
qu'une tache d’huile
noire
sur un macadam
étranger

les entrailles à vue
en guise d’arc-en-ciel

 

 

paysage

tu ne m’écrivais plus
quelques jours durant

comme une anesthésie
m’embaumait
le temps mort

la vie passait
parmi les obstacles
aigus
personne ne saignait
jusqu’au bout

dans ce monde
nous n’avons
que du temps
que du temps

 

 

écorchement

je me suis enveloppée
en entier
avec Paris

Paris, c’est
ma ceinture
de chasteté

une chrysalide
une chrysalide
un cocon
de soie
crient-ils tous

en attendant
les dédicaces
sur les bouts
de bandage
de la momie.

 

 

 

le cimetière de mots

il ne pousse pas
de la terre
de l’herbe verte

il ne tombe pas du ciel

des caillots de pluie
de vent
de lumière

non
non
il ne jaillit pas
comme la source
du tréfonds du puits
du plus profond du cœur

non
le mot
le mot
pousse
sur le cimetière
de mots
le mot
pousse
sur le cimetière
de mots.

 

 

 

la peau très fine du monde (VIII)

 

Paris
ne croit pas aux larmes

l’enfant
tire

sur la luge
l’ange
aux ailes
gelées.

 

 

 

 

poèmes traduits du roumain :

Sélection du recueil Parisul nu crede în lacrimi, éd. Junimea, Iaşi, Romania, 2016.