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Poèmes

 (traduction : Agnieszka Malinowska)

 

 

 

 

 

Débuts

 

 

 

 

Cela commence par des nœuds de rubans d’azur du genre:
sois mince. Cela commence par des écharpes de couleur

du type: garde la forme. Puis cela ne va
que de mal en pis. Sueur, sang et larmes. Lettres du front et, ô, ma

bien-aimée. Patrie, mort pour la patrie et ainsi de suite.
Donc tu cours. Tu avales tous ces débuts,

tu bois de l’eau. Tu poses sur la langue tous ces
débuts et bois de l’eau. Quitte enfin l’uniforme.

Accélère, ralentis, dévie du chemin pris.
Comprends enfin que tu ne fais la course qu’avec toi-même.

 

 

 

 

 

Le vide

 

 

 

Il paraît que dans la perspective de la physique nous sommes complètement
transparents. Et il y a en nous plus de vide que de matière.

C’est assez amusant. Le vide imagine le vide.
Le vide va au magasin et demande trois kilos de vide.

Et ensuite se vide du vide. Le plus drôle
est le fait qu’après tout c’est un pur matérialisme, zéro

d’esprit. Mais de quoi parlions-nous? Ah,
je sais. Quelqu’un a-t-il vu mon verre?

 

 

 

 

 

Fenêtre

 

 

 

Quant aux étoiles, en effet, j’aime les observer.
Surtout après une journée comme celle-ci. Après une journée

chiffonnée, comme un journal froissé. Une fenêtre immense,
grande ouverte, me restitue à la matière.

Dans les registres bleus on ne trouvera pas de place
pour la querelle de ce jour dans un office ni pour une grandissante

aversion pour son propre reflet dans la glace. Le journal
se défroisse et se réduit à un point. Des milliers de points

blancs en tant que preuve de l’inutilité des actes
humains, écrire une telle dissertation. Ou alors: Le mutisme

du ciel, ainsi que les avantages en découlant pour les plus
et les moins malheureux habitants de la planète.

 

 

 

 

 

Langues étrangères

 

 

 

Nos parents parlent le russe, nous – l’anglais,
et nos enfants? Je parie qu’ils apprendront

le chinois. Rien d’étonnant à ce que nous ne pouvons
nous comprendre. Même Marx ne prévit pas que les choses

prendraient une telle tournure. Sans parler de Nietzsche
ou de Freud. Si l’on vient à parler d’eux, les choses

évidentes me paraissent les plus suspectes.
Par exemple l’association de l’acte d’écriture de poèmes

à la poésie. Ou du hurlement de slogans nationaux
- au patriotisme. Mais ce sont des détails.

Le plus beau est le moment où nous nous tenons debout devant
nous-mêmes et contre toute attente nous savons nous entendre.

 

 

 

 

 

Premier poème sur l’amour

 

 

 

Je nique les rues qu’essaient de s’approprier
les promoteurs bavants et les employés écervelés.

Je nique les copains qui s’annonçaient
être copains et qui m’exclurent ensuite de la copinerie.

Je nique les étagères dans mon petit appartement qui
plient sous le poids de théories inutiles.

Je nique les solvants du sens et autres détergents
qui détournent l’attention des choses importantes.

Je nique les idiots qui savent tout
sur chaque sujet, et les roublards au nez retroussé.

Je nique les lettres de motivation dans lesquelles je vendais
mon temps car il ne faut pas vendre le temps.

Je nique les grosses boîtes qui me niquent à chaque
pas, même quand je nique et quand je meurs.

Je nique l’église qui nique des enfants, bénit
des chars et pille la terre, cette terre.

Je nique les philosophes qui créèrent Dieu et tuèrent
Dieu car le pouvoir d’un homme sur les hommes est infini.

Je nique l’amour des gros et pesants romans d’amour
car le vrai amour fonce dans tous les sens.

Quoi encore ? J’aime et il m’arrive d’être insupportable.
Mais avant tout j’aime.

 

 

 

 

 

 

Empire du milieu

 

 

 

Quand on fit déjà le tour de toute la ville, on peut tranquillement
faire demi-tour. C’est-à-dire arrêter de bêtement regarder autour de soi

et enfin observer l’étiquette de cette belle
soirée. Mettre le décor à l’envers.

Chinois est le biscuit et chinois est le cartable.
Les soupes et les jouets. Penses-y, tout est chinois !

Chinoise est la police. Et l’art de la censure.
Chinoises sont les croix aussi. Et chinoise est la Pologne.

Et alors? La soirée est apprivoisée. La forme? Sûrement pas
une épigramme. Ce n’est que maintenant que la route s’agrandit vraiment.

 

 

 

 

 

Niekłańska

 

 

 

Rue Niekłańska habitait jadis un sculpteur.
Celui de Quatre Dormants et de la Statue de la Gratitude.

Il mourut, mais sa maison se mit à vivre sa propre vie.
Tout d’abord, y résidaient des sculptures. Il paraît

qu’elles apparaissaient dans le jardin encore longtemps après la mort
de l’artiste. Le jour, elles sommeillaient. La nuit, elles sortaient

dans le quartier Saska Kępa. Et elles effrayaient. Elles chantaient d’un homme fou
qui tua avec une hache toute sa famille.

Et puis, elles lançaient sur les passants des canettes
de bière et des préservatifs. Rien d’étonnant

à ce que quelqu’un finit par ordonner de démolir la maison. Maintenant
y est érigé un bâtiment moderne, un immeuble de bureaux ou

une résidence.  Ses murs sont blancs comme un os.
Et on ne sait pas à quoi on peut s’attendre de lui.

 

 

 

 

 

Je m’arrête

 

 

 

Je m’arrête. Un quartier étranger me regarde
indifféremment. D’autres que moi imaginèrent ici

on ne sait pas quoi. Un kiosquaire lutte contre
son cadenas et sa cigarette. Une fleuriste vide

dans la rue un seau d’eau. Et alors c’est tout?
C’est tout. Je ne dois vraiment plus rien.