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Poétique de la théologie

La théologie a-t-elle quelque chose à voir avec la poésie (et réciproquement) ? Le Breton François Cassingena-Trévedy, théologien, moine de l’abbaye de Ligugé et membre de la Mission de la mer au Croisic, le pense vraiment. Dans sa Poétique de la théologie, il s’attache à nous montrer que la poésie « donne à apercevoir aux autres le cœur du mystère », loin de la « parole fonctionnelle et usuelle ». Au point de souhaiter qu’il en soit de même pour une vraie parole théologique. Pourquoi ? Parce que, précise-t-il, la poésie « fait toujours son domicile, très humblement, dans les interstices » ;  parce que c’est une parole au-delà des mots ; parce qu’elle n’est pas la mise en vers d’une théorie a priori, mais bien plutôt le mise en lumière d’une « expérience » (expérience d’incarnation).

        Sur ces bases, François Cassingena-Trévedy prend ses distances avec une théologie spéculative basée sur le concept  pour privilégier une théologie qui fonctionne à partir du « symbole » et dont le vecteur principal devrait être, selon lui, la « parabole ». Afin de mieux approcher le mystère, il préconise en outre l’utilisation du « fragment ».

     « Symbole », « fragment » : autant de termes que l’on retrouve effectivement dans une certaine pratique poétique. « Le poète possède l’art d’exhiber le rien ou le presque rien, de l’enluminer », estime François Cassingena-Trévedy. Il privilégie aussi « l’ascèse », « la percussion », « la pertinence ». Avec, toujours, un impératif : l’urgence et la nécessité. L’auteur cite à ce propos Rilke dans une de ses Lettres à un jeune poète (« une œuvre d’art est bonne si elle est née d’une nécessité »).

    Pour François Cassingena-Trévedy, la théologie a donc, incontestablement, besoin de renouer avec l’expérience poétique. Renouer ? Oui, parce qu’il y a des modèles et des expériences antérieuses dont celles de saint Jean l’évangéliste, des Pères de l’Eglise (*), de Jean de la Croix, et, plus près de nous, de Teilhard de Chardin. Tous de vrais théologiens-poètes.

 

(*) L’auteur cite en particulier, à plusieurs reprise, Ephrem le Syriaque (dont il est un des grands spécialistes). « La théologie d’Ephrem est exemplaire », écrit-il. « Les symboles n’en forment pas simplement le tissu, ils en sont l’âme et le ressort, empruntés pour la plupart au monde naturel : le soleil, le feu, la braise, l’arbre, la fleur, le fruit, la grappe, la terre vierge, la source, la rosée, la pierre, la mer, le port, le poisson, l’oiseau, le levain, le sel, la chambre nuptiale, la couronne, le miroir, le sceau, la cithare. Encore ce catalogue est-il loin d’être exhaustif. Parmi les symboles les plus fameux de l’univers poétique d’Ephrem, il convient bien sûr de ranger la perle, qui semble récapituler tous les autres dans une vision profondément christologique, et auxquels sont  consacrées les Hymnes sur la foi ».