Poétique d’un désastre annoncé par un collectif d’auteurs de la revue la page blanche, d’après les discours de Greta Thunberg

Les éditeurs annoncent que « l’objectif du recueil est double : d’abord, traduire et publier les discours de Greta Thunberg pour les rendre immédiatement accessibles au public français. Mais aussi, extraire et révéler leur contenu poétique en les mettant en parallèle avec des textes – poèmes en vers ou en prose – d’auteurs de la revue de poésie La Page blanche. Un discours / un poème. L’un délivre le message, l’autre l’intègre et le reformule à travers la sensibilité du poète » ; et de conclure : « La poésie est la mieux placée pour atteindre le nœud du problème écologique : la transmission sensible d'un vivant à un autre vivant, d'un cœur à un autre, du caractère poétique et tragique du désastre qui s’annonce. »

Cet objectif est-il atteint ? Pour ce qui est de la traduction des discours, c’est certain. L’accompagnement en écho des neuf poètes de Lpb vient ponctuer cette publication. Mais personnellement je n’ai pas saisi, ni goûté, l’intérêt poétique, politique et écologique de cette entreprise. Entendons-nous, ce n’est ni l’engagement de Greta ni les poèmes publiés qui sont en cause, mais le mariage des deux. 

Expliquons-nous et d’abord levons un scrupule moral : demander à « Recours au poème » la réception d’un livre pour le chroniquer sur la simple foi d’une couverture et d’un titre, est à la foi un pari et un engagement. Un pari (à moins de connaître déjà l’auteur on ignore tout du contenu), un engagement moral à chroniquer l’ouvrage reçu, et cela va de soi de manière plutôt bienveillante, le monde de la poésie est forcément pluriel.

Je dois confesser ici ma gêne, mon embarras, mon désarroi à la découverte de l’ouvrage. Sur la foi d’un titre percutant, à la fois poétique et politique, je m’attendais à tout autre chose : de quoi est fait l’ouvrage ?

Les 9 discours de Greta de mars à septembre 2019 sont intégralement reproduits, chacun accompagné d’un poème émanant de 9 poètes différents or les deux tiers du livre (56p) sont occupés par les discours, les poètes occupent seulement 19p et une postface de 12p.

Entendons-nous ici aussi : les discours de Greta non rien de poétique ni de littéraire ; La jeune fille (16 ans en 2019) est avant tout un phénome médiatique, sympathique certes (quand d’autres le sont beaucoup moins), comme notre société sait en créer tant et les renouveler régulièrement ou les faire tourner….

Parution de Poétique d’un désastre annoncé, Les éditions Lpb, 132 pages – 15 €.

Bref, ce n’est ni le lieu ni le propos de faire une énième polémique autour de Greta, mais j’avoue ne pas saisir, comprendre, ni être sensible au contenu « poétique » de discours d’une adolescente certes sincère mais pleine d’une naïveté désarmante : « le climat et la crise écologique sont au-delà des partis politiques. », « unissons-nous derrière la science p78 [science sans conscience… [politique] n’est…], sans éviter les habituels poncifs oxymores comme « créer une croissance économique durable (p47) » ou le mythe éculé sur JF Kennedy (p90).

Évoquons aussi toutes les redites : s’il est normal de se répéter dans des discours oraux prononcés pour des publics divers aux quatre coins de la planère, le lecteur d’une publication écrite, est ennuyé d’y trouver redites et répétitions (à l’identique un paragraphe entier p74 & p 88)

Bref, malgré mes bonnes intentions et la séduction opérée par un titre magnifique, je reste très critique… à moins que l’on arrive à me convaincre du contraire… où se trouve la poésie dans la prose de GT ? À titre d’exemple, la prose des zapatistes est, elle, à la fois réellement poétique (parsemée de contes et paraboles… bref de réalisme magique?) et politique.

Heureusement, il reste le deuxième objectif du recueil : faire ressentir que « La poésie est la mieux placée pour atteindre le nœud du problème écologique : la transmission sensible d'un vivant à un autre vivant, d'un cœur à un autre, du caractère poétique et tragique du désastre qui s’annonce. ». J’ignore si la poésie est la mieux placée, mais en tout cas c’est l’un des moyens -restons modeste- pour évoquer et transmettre le « caractère tragique du désastre qui s’annonce ».

Malheureusement ces paroles poétiques sont noyées quantitativement dans ce qui est mentionné plus haut, et il manque même une table pour aller repérer directement poètes et poèmes… Dommage, que les voix poétiques soient finalement si peu présentes, nous aurions aimé entendre plus cette musique-là, comme :

Pour aller au-delà « des chiffres à ouvrir, à étaler au grand jour comme on étale une peinture » (Matthieu Lorin)

Pour « Dire le sursis planétaire et la douleur/ la douleur planétaire […] comme si les capitalistes avaient des figuiers mûrs dans leur jardin » (Anne Barbusse)

« Faut-il des ailes à nos poèmes/pour échapper/à l’aveuglement/de nos brouillards urbains /à toute la pesanteur/lancinante/de ce monde […] Les océans débordent/d’indifférence » (Christophe Candello)

Pour nous faire ressentir le désastre en cours par « les oiseaux tentant de percer de leur vol/l’abcès de chaleur » (Jean-Michel Maubert) … ou encore entendre qu’un « soleil se meurt/une rumeur d’homme à la bouche/le chaos viendra balayer la scène » (Abdellatif Laâbi).

Une parole qui nous rappelle, en poésie, « il est temps/il est temps de dire/il est temps de se dire/la vérité en face » (Patrick Podolo)

Belle initiative, mais à quand un vrai recueil collectif, uniquement ou essentiellement  poétique, fait de nombreuses variations sur la « Poétique d’un désastre annoncé » ?